Le Petit Braquet
 
Chronique n° 7
 
 

Les Frères Pelissier

 

Coup de chapeau à ...

 

Les Frères PELISSIER (Henri et Francis)

 

En 1923 En cet été caniculaire j'ai eu envie de vous raconter modestement quelques aspects de la saga des frères Pélissier. J'ai en effet toujours été fasciné par le fait que trois frères puissent réussir une carrière exemplaire et également par leur façon de courir et leur gouaille naturelle. Il y a aussi dans cette histoire tout les éléments d'une grande tragédie : l'adversité, les succès, la mort aussi. Au delà des trois champions on trouve surtout trois personnages au caractère bien trempé et qui, surtout pour Henri et Francis, étaient en avance sur leur temps dans leur façon de courir et de s'entraîner.

Prenons l' histoire à son début les Pélissier n'étaient pas trois mais quatre frères et une sœur. Ils sont nés à Paris dans le XVIe arrondissement, leurs parents y possèdent une ferme laiterie au nom évocateur de Vacherie de l'Espérance.

Henri est l'aîné. Il est doué, élégant. Il aime la petite reine, mais il ne sera pas prophète en son pays et c'est en Italie qu'il va se faire un nom grâce à Lucien Petit Breton qui lui proposa en 1911 de l'accompagner dans sa campagne d'Italie. Résultat Henri se révèle en remportant la course des trois capitales "Turin, Florence, Rome", Milan Turin et le Tour de Lombardie puis l'année suivante Milan San Rémo avant de remporter à nouveau le Tour de Lombardie en 1913. Désormais il connaît parfaitement son métier, il a confiance en ses immenses capacités.
Il gagne une étape sur le Tour 1913 (les 405 kilomètres de Cherbourg-Brest). Il en gagne trois en 1914, enthousiasme le public et s'épate lui-même dans le Galibier. C'est le début de la tragédie, Henri au départ de la dernière étape du Tour n'a que 110 secondes de retard sur Philippe Thys le belge. A 20 kilomètres de l'arrivée à Paris, Henri survolté réussi à lâcher Thys mais la foule énorme le ralentit et au pont de Saint Cloud il est contraint de mettre pied à terre. Rejoint par Thys et deux autres coureurs à l'entrée du parc des Princes, il remporte l'étape mais le Tour était définitivement perdu. Il déclare qu'il l'emportera l'année suivante et tout le monde le croit.

Henri dans le galibier, tour 1914
Henri Paris Roubaix 1919

Fin juillet 1914, Henri part à Liège pour une nocturne au vélodrome, il faut bien gagner sa vie, et le vélo rapporte davantage que la laiterie. Mais le 1er août, la réunion est annulée, on murmure que les divisions allemandes entrent en Belgique. Henri quitte Liège au plus vite, tout heureux de trouver un train.
La boucherie commence. Jean le cadet d' Henri disparait en mars 1915 balayé comme bien d'autres dans les flots de morts au combat de la grande guerre.
Malgré les supplications de ses parents, Henri demande à être rappelé sous les drapeaux. Comme pour Gino Bartali lors de la deuxième guerre mondiale, qui peux dire aujourd'hui quel aurait été le palmarès de l'aîné des Pélissier s'il n'avait été amputé de ses quatre plus belles années.
En 1917, alors qu'il est permissionnaire il entrevoit la possibilité de s'octroyer pour la troisième fois le Tour de Lombardie mais face à Thys il joue encore une fois de malchance. Au moment du sprint celui ci l'entraîne dans sa chute, ils franchissent tous deux la ligne à plat ventre et c'est Thys qui est déclaré vainqueur.
La guerre finie, sa pensée ira en particulier à Petit Breton, victime lui aussi de la grande faucheuse. Le retour à la vie civile est difficile.

Après les joies de la fin de la guerre le Tour 1919 attend lui aussi son héros français. Ce sera Eugène Christophe. Henri gagne la deuxième étape, son frère Francis qui apparaît pour la première fois sur le devant de la scène, gagne lui la troisième étape. Pourtant pour beaucoup, Henri n'a pas la ténacité nécessaire, il n'est pas prêt à consentir les sacrifices énormes qu'exige cette épreuve couru sur des routes épouvantables. Les deux frangins apparaissent présomptueux, se considèrent comme des pur-sang même si Francis est un grand dégingandé. Ils laissent entendre que les autres sont des chevaux de labour, se font des ennemis, et abandonnent, non sans dire qu'on les traite comme des " forçats ". L'année suivante rebelote. Desgrange se fâche et reproche à Henri sa " nervosité de jolie femme ", il ajoute qu'il est"trop fragile et pas assez courageux pour les taches de longue haleine" et annonce qu'il ne compte plus sur lui.

Pas de Pélissier sur le Tour en 1921 et 1922. Les deux frères en profitent pour compléter leur palmarès dans les classiques (ils réalisent le doublé sur le Championnat de France et Paris-Roubaix, remportent 2 Paris-Tours et Bordeaux-Paris).



1923 sera la grande année des Pélissier.

Aidé du "grand" Henri remporte brillamment le tour de France 1923 douze ans après la dernière victoire française de Garrigou. Il fait un récital dans les Alpes et notamment dans l'Izoard. Il bénéficie du dévouement sans faille de Francis et cette fraternité plait aux Français. Il consolide son premier maillot jaune le 14 juillet, le pays tout entier le fête, les ventes de l'Auto (le journal d'Henri Desgrange) s'envolent, six fanfares sont convoquées au Parc des Princes pour une apothéose censée prolonger la victoire de 1918. Il devient " Henri de France "et s'octroie une immense popularité.

Henri et Francis dans le tour 1923

 

 


Tour de France 1924 : rien de tel pour faire une grande tragédie, qu'un peu de comédie.
Henri et Francis abandonnent à Coutances. Ils ont un bon prétexte, le règlement tatillon qui oblige un coureur à arriver à l'étape avec autant de maillots sur le dos qu'un officiel en avait comptés au départ.
Albert Londres donne à l'événement un écho retentissant. A quarante ans il est déjà très célèbre. Il revient d'un reportage à Cayenne d'où il a dénoncé avec force le bagne. Il suit le Tour pour le Petit Parisien. Henri et Francis lui jouent un grand numéro en buvant un chocolat chaud et s'embrassant par-dessus la table du café où ils le reçoivent, ils lui servent des bons mots, à commencer par " les forçats de la route" et " Je m'appelle Pélissier et non Azor ".
Ils comparent le Tour à un calvaire, à un chemin de croix. Ils lui montrent les fioles de cocaïne (yeux), de chloroforme (gencives), les boîtes de pilules (jambes et coeur) auxquelles ils ont recours. Ils racontent la difficile vie des coureurs cyclistes : " La boue ôtée, nous sommes blancs comme des suaires, la diarrhée nous vide, le soir à notre chambre on danse la gigue comme saint Guy au lieu de dormir ", avant que Francis ne dise : " Et la viande de notre corps ne tient plus à notre squelette ", avant qu'Henri n'ajoute : " Et les ongles des pieds, j'en perds six sur dix, ils meurent petit à petit ", et que Francis ne renchérisse : " Mais ils renaissent pour l'année suivante". Ils jouent une formidable partition à Albert Londres, en fut il complètement dupe, c'est difficile à dire mais son l'article fera le tour du monde.

Un Pélissier chasse l'autre. La carrière d'Henri touche à sa fin et s'il termina encore second du Championnat de France et du Tour du Pays-Basque derrière son frère Francis, (une façon de remercier le frangin) c'est le chant du cygne.
L'heure de Charles le petit dernier a sonné. 14 ans sépare Charles d'Henri pourtant , comme un passage de témoin, les trois frères firent quelques courses ensemble comme Paris - Roubaix 1926.
Vainqueur d'une étape du Tour 1929 c'est sur le Tour 1930 qu'il se révèle. Il gagne la première étape à Caen et prend le maillot jaune. Il est beau garçon, il est élégant avec ses gants et socquettes blanches, tranchant avec le reste du peloton grace à cette mode qu'il vient de lancer. Les femmes lui lancent des bouquets de roses et de violettes sur la piste pendant son tour d'honneur. Il gagne sept autres étapes, dont les quatre dernières s'octroyant ainsi une immense popularité. En 1931 il n'en gagne que cinq, mais contribue à assurer la victoire d'Antonin Magne.

Charles vainqueur d'étape tour 1930

Et puis c'est de nouveau le drame. En effet, Henri a fait son retour dans l'actualité, mais à la rubrique judiciaire. Fin 1933, sa femme Leslie s'est suicidée. Le chagrin le rend de plus en plus irritable. Il vit avec une jeune femme Miette, qui le tue d'une balle dans la carotide lors d'une dispute le 1er mai 1935, avec le même revolver qui avait servi à Leslie. Toutes ces difficultés perturbent la carrière de Charles qui pourtant reviendra sur le Tour en 1935 en individuel, faisant parler son intelligence de la course, sa classe naturelle et sans doute sa tristesse pour remporter deux étapes.

C'est la dernière fois que le nom des Pélissier apparaît en haut d'un palmarès après vingt années d'immenses succès en France mais aussi à l'étranger.

En dehors de Liège Bastogne Liège et du Tour des Flandres, les trois frangins ont tout gagné faisant preuve d'une science de la course et d'une classe hors du commun. Ils furent de véritables seigneurs de la route sachant s'opposer au consortium " la sportive " qui regroupait les principales équipes (125 coureurs) faire front, s'imposer et obtenir ainsi la disparition de cette organisation.

Ils furent également des précurseurs en matière d'entraînement substituant aux très longues sorties d'entraînement auxquelles s'astreignaient leurs adversaires pour s'endurcir, des sorties rapides d'environ 100 kilomètres dans la vallée de Chevreuse avec démarrages et sprints dans les cotes, qui leur donnaient du jus et de la tonicité. Ils avaient également compris qu'il ne fallait pas partir l'estomac trop chargé mais plutôt les poches pleines et les départs à la Pélissier asphyxièrent bien souvent leurs adversaires.

Charles et Francis ont quitté ce bas monde avant 65 ans, probablement usés par leur passion qu'ils ont vécu à fond et peut être aussi par tout les produits qui remplissaient leurs poches comme lors de leur rencontre avec Albert Londres.

Alors chapeau les frangins et laissons à Francis le mot de la fin.

Devenu directeur sportif et après avoir fait signer le jeune Anquetil aux cycles La Perle, il confie à l'abbé venu lui donner l'extrême-onction : " Je ne désespère pas d'aller au paradis, mais je ferai un petit détour par l'enfer pour rendre visite à quelques copains. "

On peut supposer que le frère aîné était aussi une sorte de copain.

Charles PelissierFrancis PelissierHenri Pelissier

Palmarès

Charles Pélissier

Né le 20 février 1903 à Paris, décédé le 28 mai 1959 à Paris

• 1925 (3) circuit de l'allier
• 1926 (2) champion de France de cyclo cross
• 1927 (2) champion de France de cyclo cross, 2ème sur route, 3ème de Paris Roubaix
• 1928 (2) champion de France de cyclo cross
• 1929 (3) 1 étape, Tour de France
• 1930 (9) 8 étapes, Tour de France
• 1931 (5) 5 étapes, Tour de France, 2ème Paris Roubaix, 3 ème Paris Tours
• 1933 (2) Critérium des As
• 1934 (2) Circuit de Paris
• 1935(2) 2 étapes, Tour de France
Henri Pélissier

Né le 22/01/1889 à Paris, décédé le 01/05/1935

• 1910 (3) 1 étape du Tour de France des indépendants, 3 ème du général
• 1911 (3) Tour de Lombardie, Milan-Turin
• 1912 (3) Milan-San Remo, deux étapes du Tour de Belgique, 2ème du Tour de Belgique
• 1913 (2) Tour de Lombardie, une étape du Tour de France,
• 1914 (3) Trois étapes du Tour de France, 2ème du Tour de France
• 1915 (0)
• 1916 (0)
• 1917 (1) Trouville - Paris, 2ème du Tour de Lombardie
• 1918 (0)
• 1919 (6) Championnat de France, Paris-Roubaix, Bordeaux-Paris, une étape du Tour de France
2ème du Tour de la Province de Milan (avec Francis)
• 1920 (10) Tour de Lombardie, Paris-Bruxelles, Nice-Mont Agel, deux étapes du Tour de France
2ème du Championnat de France, 2ème de Milan-San Remo
• 1921 (2) Paris-Roubaix, Nice-Mont Agel, 2ème du Championnat de France, 2ème du Tour de la Province de Milan (avec Francis), 3ème du Critérium des As
• 1922 (4) Paris-Tours, Circuit de Paris, Paris-Nancy devant Francis, le troisième termina à 37 minutes
Nice-Mont Agel, 3ème de Paris-Montceau-les-Mines
• 1923 (4) Tour de France, trois étapes du Tour de France, 2ème du Grand Prix Wolber, 3ème du Championnat de France
• 1924 (2) 2ème du Championnat de France derrière Francis, 2ème du Grand Prix Wolber, 2ème du Tour du Pays-Basque derrière Francis, 3ème du Critérium des As
• 1925 4 ème championnat de France et 7 ème de Paris Roubaix
Francis Pélissier

Né le 13/06/1894 à Paris, décédé le 22/02/1959.
Surnom : "Le Grand"

• 1919 (3) Paris-Dijon, Paris-Nancy, une étape du Tour de France, 3ème de Paris-Bruxelles
• 1920 (7) Paris-Nancy, Grand Prix Sporting, Tour du Sud-Est, Circuit de Provence, Circuit de la Creuse Turin-Firenze-Rome
• 1921 (3) Championnat de France, Paris-Tours, Circuit de l'Aisne, 2ème de Paris-Roubaix
• 1922 (2) Bordeaux-Paris, Paris-Montceau-les-Mines, 3ème du Tour des Flandres
• 1923 (1) Championnat de France, 2ème de Bordeaux-Paris
• 1924 (4) Championnat de France, Bordeaux-Paris, Tour du Pays-Basque
• 1925 (0) 2ème du Championnat de France
• 1926 (3) Grand Prix Wolber, Critérium des As, 2ème du Championnat de France, 4ème de Bordeaux-Paris
• 1927 (1) Vainqueur d'une étape du Tour de France par équipes
• 1928 (0)
• 1929 (0)
• 1930 (0) 2ème de Bordeaux-Paris après 18 mois de retraite
• 1931 (0) 2ème du Championnat de France

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