Le Petit Braquet
 
- Chronique n° 54 - Maurice Garin
 
 

Maurice GARIN

 

Coup de chapeau à

 

Maurice GARIN

 

 

 

Les personnages que nous vous présentons depuis maintenant près de cinq ans dans cette rubrique « coup de chapeau » sont pour la plupart, peu connus du grand public. Nous avons toujours souhaité sortir des sentiers battus et rebattus des biographies de grands champions pour vous faire découvrir d’autres individus attachants et qui d’une manière ou d’une autre, ont fait de grandes choses pour ou grâce à la bicyclette. Ce mois ci, nous allons évoquer la carrière d’un personnage très connu et qui est entré vivant dans la légende en devenant le premier vainqueur du Tour de France en 1903. La vie tout comme la carrière de Maurice Garin sont pourtant beaucoup plus intéressantes que ce simple fait d’armes car au-delà du grand champion et on trouve un homme au caractère bien trempé qui, partie de rien fit preuve en maintes occasions d’un courage exceptionnel. Il était l'archétype du cycliste dans tout ce qui fait sa grandeur et sa popularité.

Né le mars 1871 à Arvier, petite commune nichée dans la Val d’Aoste en Italie à près de 800 mètres d’altitude, Maurice Garin fait partie de ces montagnards qui ne parlent ni l’italien ni le français et qui s’expriment quasi uniquement dans le patois de leur vallée alpestre. Il est issu d’une famille modeste. Maurice était le quatrième des neuf enfants de Clément Maurice Garin, laboureur à Arvier, qui épousa, à 36 ans, la jeune Maria Teresa Ozella (19 ans) native de Locana dans le Piémont et qui travaillait à l’unique hôtel du village. Né après Adèle Virginie (1864), Clotilde (1866), Odile (1868) et avant Joseph Isidore (1873), François Ambroise (1875), Marie-Sylvie (1877) et Claude-César (1879) Maurice est le premier garçon de la famille et il endossera très vite le rôle de grand frère.

Arvier compte aujourd'hui quelque 800 habitants ; en 1875, il y en avait environ 1250, répartis en 220 familles. Pour ces familles, bien souvent nombreuses, dans ces vallées alpestres, la vie est rude et la pauvreté règne.

« L’hiver nous dormions dans la soupente, sous le toit de l’étable. Le père et la mère, eux, dormaient sur la paillasse. L’été nous dormions dans le foin. Le séchoir à châtaignes, était notre cuisine. Nous mangions tout l’hiver des châtaignes et des pommes de terre. Je ne me souviens pas avoir mangé de la viande quand j’étais jeune… Je me suis loué pour la première fois en France à Barcelonnette, quand j’avais treize ans. Le 20 avril c’était la foire là-bas. Sur la place il y avait le marché des bergers, nous étions toujours plus de trois cents enfants à louer, garçons et filles… 
Eh ! C’était forcé d’aller en France, beaucoup allaient en France demander l’aumône ou comme bergers, garder les bêtes à Barcelonnette. Presque tout le monde vivait comme nous, de misère. Nous mangions de la polenta d’orge et un peu de châtaignes…»

Nuto Revelli, « le monde des vaincus » Edition Maspero
[Témoignages de paysans des alpes italiennes sur les conditions de vie dans les montagnes entre 1880 et 1940]

Souvent l'émigration apparaissait comme la seule échappatoire possible, pour beaucoup de ces petits paysans souffrant de la faim et de la misère. Si un peu plus au sud, les départs se firent surtout vers les USA, les montagnards eux se dirigèrent majoritairement vers la France. Il en alla ainsi pour la famille Garin, qui décida, en 1885, d'aller chercher du travail et un monde meilleur au-delà des Alpes. L'on ne sait trop de quelle manière se fit ce départ, en famille ou individuellement, officiellement ou clandestinement ? Selon certaines sources, Maurice, alors âgé de treize ou quatorze ans, serait parti avec l'un de ces rabatteurs qui venaient au Val d'Aoste recruter des petits ramoneurs. Selon la légende il aurait été échangé contre une meule de fromage...

Il ne s’agit très probablement que d’une anecdote destinée à renforcer l’image du grand champion parti de rien et ayant traversé de multiples épreuves avant d’atteindre les sommets mais hélas elle repose sur un fond de vérité. En effet, parfois dès l'âge de six ans des garçons étaient enrôlés par des maîtres ramoneurs devenus trop grands eux-mêmes pour grimper dans les conduits de cheminées. Ils partaient à l'automne, sur les routes de France et revenaient, si tout allait bien, l'année suivante à la belle saison. Les journées étaient très longues (jusqu’à quatorze heures par jour) et les conditions de travail épouvantables, mettant souvent en danger la vie de ces ouvriers qui ne percevaient aucun salaire directement: Le maître ramoneur versait aux familles une somme d'argent, équivalente au prix d'un veau, à leur retour au pays et durant toute la saison, il était censé nourrir et habiller ces ramoneurs. Dans la réalité, les gamins étaient souvent battus, le maître leur volait même l’argent des pourboires et dans ces conditions difficiles, il arrivait que les petits ramoneurs meurent de froid ou lors d'une chute dans une cheminée. Ils étaient sujet à des maladies respiratoires et devenaient allergiques ou aveugles à cause de la suie. Les lois françaises de 1874 et 1892, relatives au travail des enfants mirent fin à cette pratique déplorable pour les petits français mais des spéculateurs avides continuèrent quelques années encore leurs ignobles trafics, en allant chercher des enfants de l’autre coté de la frontière, dans le Piémont.

Maurice va pendant de longues années connaître la vie difficile des émigrés. Ses frères prendront le même chemin mais l’un d’entre eux Joseph Isidore, aura moins de chance que lui et il décèdera à l’âge de 16 ans dans la solitude et la misère à Noyon. De1884 à 1886 le jeune Maurice exerce son métier en Savoie, puis en 1886 on retrouve sa trace à Reims. Ensuite il travaille durant trois ans en Belgique avant de revenir en France et de s’installer à Maubeuge, dans le Nord. En 1889 ou 1890, après les décès coup sur coup de son père et de son frère, Maurice demande à sa mère et à ses sept frères et sœurs de venir le rejoindre. A 20 ans, c’est désormais lui le chef de clan et il semble prendre ce rôle très à cœur. Depuis quelques temps, il a découvert les plaisirs de la bicyclette et il investit 405 francs soit le double de ce que gagne mensuellement l'ouvrier d'une forge qui trime douze heures par jour, six jours sur sept.

 

 

 

Selon certaines sources, Maurice n’est pas à l’époque intéressé par la compétition et il prend seulement plaisir à rouler à fond dans les rues de la ville et, si on ne le surnomme pas encore « le petit ramoneur », il met déjà tant de cœur à l’ouvrage qu’il hérite d’un surnom peu flatteur : « le fou ». En 1892, le secrétaire du Vélo-club maubeugeois arrive à convaincre le ramoneur valdotain de s'inscrire à Maubeuge-Hirson-Maubeuge, une course de 200 km, où il prendra une très belle 5ème place. Ce premier résultat l'encourage à persévérer. Peut être comprend il déjà qu’il vaut mieux dépenser son énergie sur une bicyclette que d’user sa santé dans les cheminées des maisons bourgeoises. Désormais, tout en continuant à exercer son métier de ramoneur, il ne pense quasiment plus qu’à avaler les kilomètres. Il s'entraîne tous les jours, après son travail, rentrant souvent chez lui alors que la nuit est déjà tombée. En 1893, il fait l’acquisition d’une nouvelle bicyclette d’une valeur de 850 Francs. Dotée de pneus et plus légère, cette machine qui pèse malgré tout un peu plus de 16 kg est ce qu’il lui faut pour affronter les cadors de l’époque dans des épreuves de plus grande envergure.

Malgré sa petite taille, 1m62 pour 61 kilos, Maurice Garin se fait remarquer pour son courage et sa hargne peu commune en remportant la première course à laquelle il participe : Namur-Dinant-Givet et retour.

Une anecdote à propos de cette épreuve traduit bien, l’ardeur et le caractère combatif du personnage. Aux abords de Dinan alors qu’il est seul en tête, il est victime d’une crevaison et craignant de perdre trop de temps pour réparer et ainsi perdre la course, Maurice s’empare de la bicyclette d’un soigneur qui attendait le passage de ses protégés pour leur prodiguer conseils et ravitaillements et fonce vers la victoire malgré les cris de la victime. Selon la petite histoire, arrivé à Namur avec dix bonnes minutes d’avance sur le second, il aurait ensuite tranquillement rendu la machine à son propriétaire avant de récupérer la sienne où il l’avait abandonné. La réputation du petit ramoneur s’étend peu à peu dans tout le nord de la France ainsi qu’en Belgique mais c’est en remportant en 1894 les 800 kilomètres de Paris que Maurice Garin devint un coureur côté et recherché par les organisateurs.

Il semblerait qu’à l’époque, Maurice Garin n’est pas été tenté immédiatement par l’aventure professionnelle et que, au contraire, il se plaisait à demeurer amateur et à continuer à tout faire par lui-même. Il apprend à monter ses roues, à régler parfaitement la tension des rayons et il a même ses petits trucs pour améliorer la résistance de ses pneumatiques. Ainsi selon Franco Cuaz, son biographe, il rendit moins vulnérables les chambres à air en collant à la toile des pneus, une mèche de lampe à pétrole.

 

 

On considère parfois que ce n’est pas Maurice mais César sur cette photo ?

 

 

C’est apparemment après son succès dans la course d’Avesnes-sur-Helpe en 1894 qu’il choisit enfin de passer professionnel. En 1895, sa victoire dans l’épreuve des 24 heures des Arts Libéraux organisé par le journal « le Vélo » allait définitivement asseoir sa réputation de grand champion. Cette épreuve de longue distance, comme presque toutes celles de cette époque, avait lieu derrière des entraîneurs dotés d’une bicyclette, d’un tandem ou d’une triplette. Elle se déroula au début du mois de février, en pleine vague de froid et elle révéla toute la force et l’intelligence du petit montagnard. Alors que ses adversaires vaincus par le froid et une alimentation peu adaptée abandonnent tous les uns après les autres, Maurice Garin tourne et tourne encore sur la piste avec la régularité d’un métronome. Au final il réussit malgré des conditions atmosphériques déplorables à parcourir 701 kilomètres en 24 heures et il l’emporte avec 49 kilomètres d’avance sur l’anglais Williams qui est le seul autre concurrent à terminé l’épreuve. Si l’on en croît la légende, la victoire de Maurice Garin est liée à la fois à ses qualités physiques et mentales mais également au fait qu’il se soit mieux alimenté que les autres en évitant notamment l’abus de vin rouge.

La diététique n’existait pas encore et si l’homme d’Arvier eu le bon goût d’éviter le vin rouge on ne peut qu’être sidéré par ce qu’il a consommé durant ces 24 heures : 19 litres de chocolat chaud, 7 litres de thé, 8 œufs au madère, une tasse de café avec de l'eau-de-vie de champagne, 45 côtelettes, 5 litres de tapioca, 2 kg de riz au lait et des huîtres !!!

 

 

Les 24 heures des Arts Libéraux 1895 in « L'Industrie vélocipédique : organe des fabricants, mécaniciens...» 1895

Source : http://gallica.bnf.fr/
 

Les coureurs qui tiennent le haut du pavé au milieu des années 90 ont pour nom : Auguste Stephane, Jules Dubois, Gaston Rivierre et Lucien Lesna. Parmi les étrangers, le danois Charles Meyer (vainqueur de Bordeaux Paris 1895), l’allemand Joseph Fischer (victorieux du 1er Paris Roubaix en 1896) ainsi que les britanniques Arthur et Tom Linton (voir coup de chapeau à Choppy Warburton) trustent les victoires et les places d’honneur dans les plus grandes épreuves. Désormais il faudrait également compter sur Maurice Garin ou plutôt sur Maurice et ses frères cadets Ambroise et César qui tous deux furent de très bons coureurs.

Maurice habite désormais à Roubaix et il affectionne tout particulièrement les courses du nord de la France et de la Belgique. Dur au mal, teigneux, les pavés, le vent et des conditions atmosphériques difficiles sont autant de choses qui ne lui font pas peur, bien au contraire. Ce n’est donc pas un hasard si Paris Roubaix est un peu sa course. 3ème en 1896, il s’y impose en 1897 et 98 et terminera encore 3ème de l’épreuve en 1900. A cette occasion, il fit une nouvelle une démonstration de son caractère hargneux et combatif. En effet, victime d’une crevaison, il effectue les six tours réglementaires du vélodrome, en clamant, furibond au public qu’il n’est battu que parce que ses adversaires s’étaient ligués contre lui.

Coureur intelligent, rusé, instinctif et calculateur, Maurice Garin ne craint personne lors des épreuves de longue distance et les courses dites « ville à ville » seront sont domaine de prédilection.

L’autre très grand succès de Maurice Garin sera en 1901, la seconde édition du fameux Paris Brest Paris. Il parcourt les 1 200 km en 52 heures, 11 minutes et 1 seconde à la moyenne fantastique de 22,995 km/heure, améliorant le record de Charles Terront de plus de 19 heures.

Cette performance montre combien en dix ans les machines s’étaient améliorées et l’entraînement avait progressé.

 

Pourtant en dehors de quelques grandes épreuves déjà « mythiques » le public commence à se lasser des courses de vélo. Toujours plus vite, toujours plus loin pourrait être le slogan de la période 1890/1900. Nous l’avons vu avec les coups de chapeau consacrés à Maurice Farman à Lucien Lesna et à Hélène Dutrieu, la passion de la vitesse à conduit de nombreux cyclistes à se reconvertir dans le sport automobile puis dans l’aviation. Pour Henri Desgranges, l’objectif est double : abattre définitivement le journal de son concurrent, le Dreyfusard, Pierre Giffard, en inventant une épreuve différente, plus à même de capter à nouveau l’attention du public.

"Du geste large et puissant que Zola, dans LA TERRE, donne à son laboureur, L'AUTO, journal d'idées et d'action va lancer à travers la France, aujourd'hui, ces inconscients et rudes semeurs d'énergie que sont nos grands routiers professionnels…

Deux mille cinq cents kilomètres durant, par le soleil qui mord et les nuits qui vont les ensevelir de leur linceul, ils vont rencontrer des inutiles, des inactifs ou des paresseux, dont la gigantesque bataille qu’ils vont se déclarer va réveiller la torpeur, qui vont avoir honte de laisser leurs muscles s’engourdir et qui rougiront de porter une grosse bedaine, quand le corps de ces hommes est si beau de grand travail de la route"

Ainsi, dans son éditorial du 1er juillet 1903, Henri Desgsrange annonce-t-il le départ à Villeneuve Saint Georges sur la route de Montgeron, des 60 concurrents du premier "TOUR DE FRANCE", nouveau feuilleton allant à la rencontre du public.

 

Des soixante coureurs qui prirent le départ le 1er juillet 1903, seulement 21 terminèrent le Tour. Maurice Garin, grand favori de l’épreuve, porte le brassard n° 1. Il s’agit bien d’un brassard et non pas d’un dossard car les concurrents portent leur numéro sur le bras et non pas dans le dos comme ce fut ensuite le cas. Il court pour la marque de cycles La Française-Diamant., qui compte sur lui pour améliorer les ventes. Son rival désigné par la presse est Hyppolite Aucouturier que la presse surnomme le terrible. Celui-ci venait de remporter brillamment Paris – Roubaix et Bordeaux – Paris et, sur le papier, il était le seul à pouvoir tenir tête au petit ramoneur. « Vous occupez pas, l’homme est là » répondait il invariablement aux questions d’avant course sur ses chances de victoires. Fanfaron, Aucouturier ne fut jamais en passe de remporter le Tour de France car son mode de ravitaillement et de boisson trop anarchique lui valut de nombreux soucis. Victime de crampes d’estomac durant la première étape, il se consola en remportant la 2ème et la 3ème étape, ce que le règlement permettait, avant d’abandonner à nouveau dans la 4ème.

Maurice Garin victorieux de la 1ère étape, assomma d’entrée ses adversaires en s’octroyant immédiatement un avantage conséquent. Seul le jeune Pagie réussit l’exploit d’accompagner notre homme jusqu’à quelques encablures de l’arrivée à Lyon. Malin et sur de lui, Garin dira à l’arrivée, avoir demandé à son staff de donner un bol de soupe à son compagnon de route car il ne souhaitait pas faire la route tous seul. Au final, il enleva la course après avoir parcouru 2 428 km, à la vitesse moyenne de 25,6 km/h et dominé outrageusement les débats, en remportant trois victoires d’étape sur les six que comptait l’épreuve.

 

Arrivée du bouledogue blanc autre surnom de Garin, lors de la 1ère étape du tour 1903 à Lyon
Les entraîneurs sont interdits mais on trouve autour de lui de nombreux passionnés heureux de faire quelques mètres avec le champion

Le Tour n’est pas celui que l’on connaît aujourd’hui, les étapes sont très longues : Paris-Lyon 467 kilomètres remportée par Garin en 17 heures et 45 minutes, Nantes-Paris 471 kilomètres à nouveau enlevée par Garin en 18 heures 9 minutes. Entre chaque étape les coureurs bénéficient d’un à trois jours de repos. A l’arrivée à Paris, il est accueillit sur le vélodrome du Parc des Princes par 20 000 spectateurs. Son avance atteint 2 heures et 49 minutes sur le deuxième, ce qui reste à ce jour le record du Tour. Le favori a gagné et le succès populaire de la course est immense tout comme la popularité de Maurice Garin. Il aurait gagné 6 075 francs durant l’épreuve. On dit alors que le petit ramoneur est capable de rouler deux cent kilomètres sans boire ni manger …

 

 

Le 25 juillet, de retour à Lens, où il tient depuis plusieurs années un magasin de cycles, il est accueilli par plusieurs milliers de personnes qui défilent avec lui dans la ville. Il est reçu à l’hôtel de ville par le maire, Émile Basly.

 

En 1904, il est à nouveau au départ de la grande boucle et s’il n’enlève qu’une seule étape, il va à nouveau remporter le classement général d’une épreuve victime des passions qu’elle suscite. Difficile de décrire précisément les tricheries qui ont émaillés l’épreuve tant elles furent nombreuses et imputables à beaucoup. L’équipe la Française Diamant qui compte dans ses rangs Maurice Garin, son frère César et Lucien Pothier semble avoir fait beaucoup plus que simplement soutenir ses coureurs mais ils ne sont pas les seuls à s’être laissé aller au-delà de ce qu’autorisait le règlement.. Aux abords de la capitale des Gaules, Garin et Pothier sont attaqués par une voiture, insultés. Le tenant du titre est même menacé de mort. Plus dangereux encore, près de Saint Etienne, dans le col de la République, qui est le premier vrai col franchi par le Tour de France, des admirateurs de champion local, André Faure qui s’est échappé du peloton, ont ralenti la poursuite en accueillant le peloton d’une pluie de coups et de jets de pierre. Des membres de la caravane doivent user d’armes à feu, pour se frayer un passage au milieu des supporteurs de Faure, absolument déchaînés. Maurice Garin sera blessé au bras dans l’incident et Giovanni Gerbi, le champion italien aura un doigt cassé.

Dans la région de Nîmes, les supporters locaux manifestent leur colère en raison de la disqualification de leur favori, Ferdinand Payan qui s’est abrité derrière un engin motorisé.

Pour cette raison, ils n'hésitent pas à inonder la route de milliers de clous. A l’arrivée de l’étape, une centaine d’individus menacent de mort coureurs et accompagnateurs. A Toulouse, Maurice Garin déclare : « Si je ne suis pas assassiné avant Paris, je gagnerai encore le Tour de France! ».

A l’arrivée, Maurice Garin s’impose avec seulement 6 minutes 28 secondes d’avance sur Lucien Pothier déjà second l’année précédente, 1 heure 51 minutes sur celui que l’on surnomme parfois junior César Garin et 2 heures 52 sur Hyppolite Aucouturier qui se console en enlevant 4 des 6 étapes à la grande joie de son sponsor, l’équipe Peugeot.

Que s’est il réellement passé ensuite difficile à dire mais le 02 décembre 1904, la Commission technique de l'Union Vélocipédique de France (UVF) rendit une sanction d’une dureté surprenante. Elle disqualifia les quatre premiers de la course : Maurice Garin, Lucien Pothier, César Garin et Hyppolite Aucouturier pour "violation des réglements". Par ailleurs le grand espoir (il n’a que 21 ans) Lucien Pothier qui s’était abrité derrière un engin motorisé sera suspendu à vie tout comme Chevalier ! De plus, Aucouturier qui a déjà été déclassé, reçoit un avertissement. Il n’est pas le seul en effet Cornet et Dortignacq sont eux aussi avertis mais malgré l’avertissement ils avancent au classement général et se retrouvent finalement 1er et 2ème du Tour. Le ridicule de la sentence prend ici tout son sens. Enfin Maurice Garin, qui visiblement n’a pas été plus tricheur que les autres, je dirais même qu’il est un de ceux qui a reçu le plus de mauvais coups durant l’épreuve, écope d’une suspension de deux ans, ce qui, a trente quatre ans signifie la fin de sa carrière. Garin fut-il l'objet d'une injustice ? Avec le recul cela semble tout à fait probable car les individus douteux qui gravitaient autour des grandes marques de cycles n’avaient en général strictement rien à voir avec les coureurs. La rigueur des sanctions ne peut s'expliquer que par les multiples tricheries dans lesquelles avait déjà basculé le cyclisme professionnel. Il fallait faire un exemple et pour cela frapper un champion. Or Maurice Garin était incontestablement le meilleur coureur du monde dans ce type d’épreuve. Henri Desgrange pouvait dès lors se frotter les mains, son épreuve était sauvée et c’est bien la seule chose qui l’intéressait. Il aura beau jeu ensuite de feindre de s’apitoyer sur le sort des coureurs trop lourdement condamnés…Il sera même mesquin au point de garder rancœur toute sa vie durant, à la ville de Saint Etienne pour les incidents survenus dans la montée du col de la République, à la sortie de la ville. Ainsi le Tour ne refit étape à Saint Etienne qu’en 1950…

Henri Cornet, initialement cinquième, remporte donc ce drôle de tour sur tapis vert. Il est toujours le plus jeune vainqueur du tour.

 

 

 

Pour Maurice Garin une page se tournait définitivement. On ne vit plus jamais à la tête du peloton, le bouledogue blanc, ce coureur petit et trapu, à la régularité formidable... qui avait gagné toutes les courses qui comptaient. Une fois pourtant, bien plus tard, en 1911, Maurice gracié remonta sur sa bicyclette, pour courir le troisième Paris-Brest-Paris lors duquel à 40 ans il réussit l’exploit de prendre la 10ème place avec un temps supérieur d’à peine 6 heures à sa victoire de 1901.

Victime d’une injustice, Maurice Garin n’a jamais véritablement admis son déclassement comme en témoigne cette anecdote survenue en 1953. A l'occasion du cinquantième anniversaire du Tour, Garin (en compagnie de Géo Lefebvre), était présent pour voir son grand successeur, Louison Bobet enlever la première de ses trois victoires. Un photographe a immortalisé le moment où les deux champions se serrèrent la main, le fier Breton et le vieux sanglier nordiste. Quand finalement Maurice Garin reçu la photo, il la retourna et il écrivit sur le dos : 

 

Cinquantenaire du Tour de France
1903=1904 – 1953
M. Garin.

 

En 1905, sa carrière terminée, il a quitté Lens où il demeurait depuis 1902 pour Châlons-sur-Marne où il ouvrit un magasin vendant des bicyclettes. L’affaire ne semble pas avoir été un grand succès et  après un certain temps, il revint à Lens où il acheta une station d'essence dont l'enseigne, représentant un cycliste, proclamait fièrement « Au champion des routiers du monde ». Elle fut détruite par les bombes en 1944. Si l’on ajoute à ces déboires, quatre mariages cela donne une image assez précise de la vie tumultueuse de Maurice Garin durant de nombreuses années

 

 

 

Centenaire du Tour de France : Le coureur cycliste Maurice Garin, vainqueur du Tour de 1903 et carte de France avec circuit  

 

AFFICHE : Arch. dép. Pas-de-Calais, PG 14/6. Publicité pour le magasin de cycles de Maurice Garin parue dans Le Journal de Lens le 23 juillet 1903. [PG 14/6].

Il crée après la Seconde Guerre mondiale une équipe « Garin ». C'est sous les couleurs rouge et blanche de l'équipe « Garin » que le Néerlandais Piet Van Est remporte Bordeaux-Paris en 1950 et 1952.
A la fin de sa vie, Maurice Garin perdait un peu la mémoire et quelquefois, on le retrouvait loin de chez lui, errant dans les rues. Il cherchait, disait-il, le commissaire. Il se trouvait alors une âme charitable qui l’accompagnait au commissariat de police, mais c'était en fait le commissaire de course qu'il cherchait. Obsession de ne pas rater un contrôle pour ne pas être disqualifié, voilà ce qu’il restait d’abord à Maurice Garin comme souvenirs d'une gloire passée. Triste fin pour un champion d’exception dont la force mentale et la ténacité avaient été saluées par tous.

Il meurt à Lens le 19 février 1957. La ville lui a rendu alors hommage en donnant son nom au stade-vélodrome.

Fin de l’histoire ! Et bien non, pas tout à fait. Jusqu'à présent, tout le monde s'accordait à dire que le « petit ramoneur », né Italien, avait opté pour la nationalité française à sa majorité (21 ans), c'est à dire en 1892 et qu’il était donc avec Charles Terront le premier grand champion cycliste français.

Mais voila qu'en 2004, Franco Cuaz, qui est sans conteste le meilleur biographe de Garin, explique dans les colonnes du quotidien sportif "La Gazzetta dello Sport", qu'il a dégoté l'acte de naturalisation de Garin à Châlon-sur-Marne, et que celui ci est daté de 1901, soit 9 ans après la date supposée.

Cette information qui a depuis été vérifiée, a quelque peu du mal à circuler en France et nombreux sont les sites et les écrits qui prétendent encore que Maurice Garin a réalisé toute sa carrière cycliste en étant français. Peut être que pour certains il est difficile d’admettre que les deux victoires de Garin dans Paris-Roubaix (1897 et 1898) ainsi que toutes les autres victoires de la première partie de sa carrière doivent être portées au crédit de l'Italie, et non de la France.

En guise de conclusion à cet hommage au petit ramoneur d’Arvier dont la vie tumultueuse et passionnante pourrait sans nul doute faire l’objet d’un film, nous nous contenterons de citer le célèbre écrivain et journaliste sportif italien, Orio Vergani qui au lendemain de la disparition de Maurice Garin écrivit pour « Il Corriere della Sera», un hommage au champion intitulé «Salut à Garin, le premier soldat de la Grande Armée de la bicyclette."

sur le web

- Maurice Garin ou le "sanglier " lensois, Jérôme JANICKI, voir le site (ici)

- La mort du petit ramoneur, Texte : Edouard Boeglin, Voir le site (ici)

Bibliographie

Maurice Garin
- "Maurice Garin, cet étonnant forçat de la piste, ou la folle épreuve des 24 heuyres des Arts libéraux des 2 et 3 février 1895"
par Didier Rapaud
- Franco Cuaz, : « Garin. Il ciclismo di un secolo fa »,  Musumeci, 1997
- Jean Durry : « la véridique histoire des géants de la route » Edita 1981

En 1953, l'ORTF (télévision française) a réalisé une reconstitution du départ du premier tour de France. Ce reportage diffusé au journal télévisé de 20 h, et présenté par Georges de Caunes, est visible sur le site de l’INA ainsi que sur Youtube 

1893 : Dinant-Namur-Dinant - Huit cents kilomètres de Paris (sur piste) - 3ème d’Amiens - Dieppe
1894 : Vingt-quatre heures de Liège (sur piste) - Prix d'Avesnes-sur-Helpe - 2ème de Paris – Besançon - 2ème de Lille-Boulogne - 2ème de Bruxelles – Nieuport - 3ème de Paris - Spa - 4ème de Paris-Saint-Malo
1895 : Vingt-quatre heures des Arts libéraux de Paris (sur piste) - Guingamp-Morlaix-Guingamp - Recordman du monde des 500 km sur route derrière entraîneur humain : 15 h 02' 32", entre le 3 et le 4 février
1896 : Paris-Le Mans - Paris-Mons - Liège-Thuin - 2ème de Roubaix - Ostende - 3ème de Paris-Roubaix - 4ème de Rotterdam - Utrecht
1897 : Paris-Roubaix - Paris-Royan - Paris-Cabourg - Tourcoing-Béthune-Tourcoing
1898 : Paris-Roubaix - Tourcoing-Béthune-Tourcoing - Valenciennes-Nouvion-Valenciennes - Douai-Doullens-Douai - Cinquante kilomètres d'Ostende (sur piste) - 2ème de Bordeaux-Paris
1899 : 3ème de Bordeaux-Paris - 3ème du Bol d'Or (sur piste)
1900 : 2ème de Bordeaux-Paris - 2ème du Bol d'Or - 3ème de Paris-Roubaix
1901 : Paris-Brest-Paris
1902 : Bordeaux-Paris
1903 : Tour de France (plus 3 victoires d'étapes)
1904 : 1er du Tour de France, (1 étape)

Ambroise Garin (né le 10 mai 1875 et décédé le 31 mars 1969) :

3ème de Paris-Roubaix 1899,
3ème de Bordeaux – Paris 1900
2ème de Paris-Roubaix 1901,
3ème de Bordeaux-Paris 1902,
3ème de Bordeaux – Paris 1902
9ème du Bol d’Or 1903

 

César Garin (né le 16 décembre 1879 et décédé le 27 mars 1951) :

2ème de Paris-Roubaix 1904,
3ème du Tour de France 1904 avant d’être comme son frère déclassé.
5ème de Paris – Roubaix 1906

 

Géo Lefèvre, l’envoyé spécial de L’Auto, le quotidien du fondateur du Tour Henri Desgrange :
« L’arrivée ? Eh bien, je l’ai manquée ! Ce Garin et ce Pagie que j’avais vu se restaurer rapidement à Moulins et s’enfoncer dans la nuit, m’ont précédé à Lyon sur leur simple bicyclette, tandis que je roulais dans l’express ! Et, lorsque j’avais constaté par moi-même l’incroyable état de fraîcheur de ces deux démons de la route, calculé leur avance sur un horaire qui me semblait très optimiste, lorsque je l’avais établi, j’avais eu l’intuition que je les manquerais. Mon train arrivait à 8 h 50, je bondissais dans une voiture et, arrivé sur le Quai de Vaise, je voyais, de loin un millier de personnes s’agiter, crier, applaudir et entourer deux hommes blancs de poussière.
C’étaient eux ! […] Les grands manitous du contrôle [m’expliquèrent] : “ C’est bien simple : à 7 h 20, un coup de téléphone de tarare nous annonce le passage de Garin et de Pagie ; nous organisons en hâte le contrôle et, à 9 heures, nous entendons au loin le taratata des clairons. Un drapeau s’agite et Garin, sautant comme un chat sur les gros pavés du quai de Vaise, arrive bientôt finissant bon premier […]. ”
Garin a l’habitude de manquer ses arrivées ; lors de Paris-Brest, il débouchait au Parc des Princes le matin alors que la grande foule ne l’attendait que l’après-midi ; dans Bordeaux-Paris 1902, c’était tout juste s’il ne faisait pas son entrée au vélodrome à une heure où il n’y avait encore personne et, cette fois encore, […] il arrive à Lyon au moment où il n’y a aucun contrôle. […] Pagie finit bon second à moins d’une minute de son fameux rival, causant ainsi la plus grosse surprise que pouvait nous réserver cette bataille. […] Le troisième, Léon Gorget, arrivé une demi heure plus tard a le masque rageur, il signe sans dire un mot.
[…] Dans la matinée, je retrouve Garin calme, reposé, superbe ; il me montre son séant. La trace de la selle n’est même pas visible. »

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