Le Petit Braquet
 
- Chronique n° 52 - John Kemp Starley
 
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John Kemp Starley

 

Coup de chapeau à

 

 

John Kemp STARLEY

 

 

 

Fort peu connu du commun des mortels, John Kemp Starley que l’on nomme souvent John K. Starley est pourtant un personnage clé dans l’histoire de la petite reine. Il est aujourd’hui considéré probablement à juste titre comme le père de la bicyclette moderne, celui qui l’a fait sortir de la préhistoire en lui donnant sa forme actuelle.

John Kemp Starley, fils d’un jardinier est né en 1854 à Walthamstow (actuel district londonien de Waltham Forest). John Kemp Starley ne semble pas s’être beaucoup intéressé aux plantes comme son père et comme souvent dans la société anglo-saxonne c’est la figure tutélaire de l’oncle qui va faire de lui l’homme que l’on connaît aujourd’hui, en lui transmettant sa passion pour une invention en plein développement : le vélocipède.

En 1872, à l’âge de 22 ans, John Kemp Starley déménage à Coventry afin de travailler dans l’usine de ce fameux oncle, James Starley et de son associé de l’époque William Hillman. Les deux hommes produisent dans leurs ateliers des grands bis. Dans les pays anglo-saxon, ces engins sont plus connus sous le nom d’Ordinary (ils n’ont pourtant rien d’ordinaire avec leurs roues disproportionnées) ou de Penny-Farthing. Cette dénomination qui apparaîtra de manière péjorative à la fin des années 1880 quand l’Ordinary sera sur le déclin, provient de deux pièces de monnaie de taille très différente en vigueur à l’époque et qui, mise l’une à coté de l’autre symbolise le Grand-bi, un Penny et un quart de Penny appelé Farthing.

Constructeurs réputés, ils ont créé leur propre marque «The Ariel Bicycle ». James Starley est alors un homme respecté dans le petit monde du vélocipède. Dès 1869, alors qu’il travaillait pour un fabricant de machine à coudre de Coventry, Josiah Turner il eut en charge la production de 500 vélocipèdes pour Michaux. En effet Josiah Turner avait été convaincu par son neveu Rowley de l’intérêt des vélocipèdes et il avait passé un accord commercial avec les Michaux pour la production de 500 engins 250 pour la France et 250 pour l’Angleterre. Si la guerre de 1870 bloqua les vélocipèdes destinés aux Michaux ceux réservés au marché britannique se vendirent rapidement et ce fut le démarrage d’une industrie prospère.

James Starley qui a supervisé la production des 500 machines décide très vite de voler de ses propres ailes d’autant qu’il a des idées pour améliorer les machines. Concrètement en quelques années, il va en perfectionner fortement le concept en allégeant la machine, et en l'a dotant d'une très grande roue à l'avant, ce qui permettait d'atteindre de plus grandes vitesses. James Starley aurait également été le premier à utiliser pour la fabrication des roues des rayons de broche métallique sous tension, plutôt que des barreaux de bois ou de métal. Les frères Olivier revendiquèrent également la paternité de cette invention (voir le coup de chapeau qui leur est consacré). Il est nécessaire de rappeler que cette invention est capitale car elle permet une meilleure absorption des vibrations causées par la route ainsi qu’une plus grande résistance aux chocs et elle canalise aussi l'énergie que génère le pédalage. Ce système permet enfin de construire des roues plus légères.

 

Auprès de son oncle, John est à bonne école. Auprès de son oncle qui est finalement aussi son père spirituel, John découvre, teste et expérimente tout ce qu’un futur constructeur de cycle à besoin de connaître avant de se lancer dans l’aventure. Il apprend à connaître les machines et à réfléchir aux moyens d’en améliorer le fonctionnement et la sécurité.

A l’époque, les changements de vitesse n’existent pas encore et le seul moyen d’accroître la vitesse des vélocipédistes est l’agrandissement de la roue avant qui demeure la roue motrice. On assiste alors à une véritable escalade au propre comme au figuré car bientôt les grands bis atteignent des dimensions au-delà du raisonnable. Il fallait alors une bonne dose de courage pour s’aventurer sur un engin dont la roue avant mesurait 1 mètre 50. Les problèmes d’équilibre que posait cette gigantesque roue à l’avant eurent raison du grand bi. L’état des routes de l’époque rendait les accidents nombreux et limitait ainsi l’utilisation du Grand-bi à de jeunes hommes suffisamment téméraires et sportifs pour pouvoir monter et descendre de l’engin. Cet élitisme, pleinement assumé par les amateurs du grand bi qui n’aimaient point se mélanger à la populace, était aussi un frein commercial important et les fabricants cherchèrent rapidement à concevoir une machine plus facile d’accès. John Kemp Starley est au cœur de cette réflexion. Il comprend très vite l’intérêt commercial qu’il y aurait à concevoir un vélocipède utilisable par tous, y compris les femmes. Il sera le premier à passer de la théorie à la pratique et à proposer au public un engin plus sur et plus confortable.

 

Dès 1877, John considère qu’il est au fait des techniques de fabrication des vélocipèdes et qu’il est désormais capable de prendre son indépendance. En accord avec son oncle qui semble l’avoir quelque peu impliqué dans la gestion de son affaire, il s’associe à William Sutton un passionné de bicyclette  et il créé sa propre entreprise : the Starley & Sutton Company. Leur production est à l’époque proche de celle des autres fabricants de Coventry qui va devenir la capitale britannique de la bicyclette. Les affaires de John Starley prospèrent rapidement et il lui faut bientôt acquérir des locaux supplémentaires pour agrandir ses ateliers. Pourtant au-delà de cette prospérité qui pourrait endormir les esprits, John Starley comme beaucoup d’autres à l’époque est passionné par son travail. Certes il a besoin de développer son activité pour gagner de l’argent et rémunéré ses ouvriers mais il croît fortement aux potentialités de développement du vélocipède et il cherche sans cesse de nouvelles améliorations pour rendre ses engins plus surs et plus confortables. Il a probablement eu connaissance de l’invention d’un autre britannique, Henry JohnLawson, (1852-1925) qui s’intéressera plus tard à l’automobile et à l’aviation (il fondera la compagnie Daimler et sera Directeur de la filiale britannique de la compagnie Louis Blériot) mais qui dès 1876, créa un modèle très en avance sur son temps. La première version de sa bicyclette possédait un mécanisme à pédales comme sur le vélo de Mac Millan au lieu de manivelles montées directement sur l’axe de pédalier mais elle rendait déjà la pratique de la bicyclette beaucoup plus aisée. En 1879, Henry John Lawson améliora encore son engin en y installant la transmission par chaine entre le pédalier et la roue arrière.

Plus lourd, plus cher, plus complexe que le grand bi, esthétiquement peu réussi l’invention Lawson ne connu pas le succès escompté. Peut être était elle également en avance sur son temps, à un moment où la demande d’un vélocipède plus sur et accessible au plus grand nombre n’était pas encore suffisante pour qu’elle rencontre un écho suffisant dans le public. Il est probable que John Kemp Starley trouva une importante source d’inspiration dans le modèle conçu par Henry John Lawson notamment dans le domaine de la transmission par chaine et dans le  positionnement du cycliste par rapport à l’axe de pédalage.

En 1883, the Starley & Sutton Company se lance également dans la production de tricycle.

(transmission par chaine)

En 1885 enfin, John Kemp Starley présente la bicyclette Rover qui deviendra célèbre sous le nom de « Rover Safety Bicycle». Le brevet de la Rover Safety Bicycle est déposé le 30 janvier 1885, sous le titre « Improvements in roller bearings for velocipedes, carriages, or like light vehicles or light machinery. ». La première version de cette machine est découverte par le public à Londres lors d’une exposition annuelle célèbre à l’époque « the Stanley Exhibition ». La Rover Safety Bicycle n’est pas née d’un coup de génie spontané mais que John Starley y ait travaillé pendant plusieurs années apportant sans cesse de nouvelles améliorations à son projet  mais aussi en reprenant ce qu’il y a de meilleur dans les machines de ses concurrents. Interrogé plus tard sur la genèse de son invention il affirma que c’était dans la fabrication des tricycles qu’il réalisait depuis plusieurs années qu’il avait trouvé son inspiration. Il expliqua que son but avait d’abord été de mettre le cycliste dans la bonne position par rapport aux pédales et à la bonne distance du sol. Le fruit de ses réflexions est une véritable réussite. Son design est révolutionnaire car face aux grands bis connus de tous, cette bicyclette a l’originalité de présenter deux roues de diamètre identique entraînées par un pédalier relié au pignon installé sur la roue arrière par une chaîne. Afin de s’adapter à la physionomie de chacun John Sartley conçoit un système permettant de régler la selle en hauteur et en longueur. Trois modèles de la Rover Safety Bicycle sortiront de l’esprit inventif de John Kemp en quelques mois pour aboutir finalement à une forme générale qui n’évoluera plus désormais. La Rover fut accueilli avec scepticisme par les amateurs qui se plaisaient dans l’élitisme du grand bi. Adoptée tout d’abord par celles et ceux qui découvraient ainsi la joie de se promener à vélo la Rover Safety Bicycle n’est pas qu’une révolution technologique c’est aussi un véritable bouleversement dans les mentalités. Grâce au génie de James Starley, le vélocipède s’ouvrait au monde. Il pouvait enfin sortir de l’élite athlétique à qui, de part ses caractéristiques techniques, sa dangerosité et sa complexité de conduite il était réservé. Certes les puristes se gaussèrent de cette machine que le commun pouvait aisément piloté et qui selon eux était très loin de la beauté du geste d’un athlète oeuvrant sur son grand bi. Même les plus belles inventions trouvent toujours en face d’eux des détracteurs pour affirmer que c’était mieux avant. Le champ du cygne du grand bi ne dura pourtant que quelques années. La Rover Safety Bicycle et les autres machines qui, un peu plus tard, l’imitèrent se révélèrent bien vite supérieures aux machines de type grand bi dans des courses que les constructeurs ne manquèrent point d’organiser. En 1888, avec l’introduction des pneus, la mutation de la bicyclette s’achève et elle prend définitivement l’ascendant sur le grand bi. Si l’on en croît Jean Durry (La véridique histoire des géants de la route) les efforts du Duncan (voir le coup de chapeau que nous lui avons consacré) pour faire connaître et populariser les nouvelles machines ont commencé à porter leurs fruits dès 1886. Le 11 juillet 1886 le coureur franco  belge qui se faisait appeler Eole est le premier a remporter une course en France sur ce nouveau type de machine, mais trois jours plus tard à Toulouse il est mis hors course car les champions sur bicycle refusent de s’abaisser à courir avec lui… Jean Durry estime qu’en 1887 la Rover Safety Bicycle et les modèles qui s’en inspirent ne représentent encore que 40 % des ventes sur le sol Français mais l’invention des pédales à billes en 1886, le perfectionnement de la chaine en 1888 et la création de la direction à billes en 1889 portent ce chiffre à 95 % en 1889. Les coureurs ont leurs habitudes et certains demeureront longtemps réticents. Ainsi Charles Terront (voir le coup de chapeau que nous lui avons consacré) gagne toujours sur grand bi le championnat 1888 des 100 kilomètres ainsi que le championnat d’Angleterre des 100 miles. En 1889, il remporte encore face à des concurrents qui ont quasiment tous adopté la bicyclette un nouveau titre de champion de France de demi-fond, mais l’irréductible gaulois va finir par gouter aux joies de la bicyclette et en 1890 c’est sur une bicyclette qu’il remportera pour la 5ème fois la course de fond d’Angers. 

A l’époque «the Cycling Magazine » affirma que la Rover Safety avait «établi le modèle pour le monde».Il avait vu juste car aujourd’hui encore la bicyclette de notre quotidien est très proche de l’invention de John Starley. Cette expression fut reprise par l’entreprise qui l’utilisa dans ses publicités pendant de nombreuses années.

Les sources divergent quand au moment où la compagnie fondée par John Starley et son associé prit le nom de Rover. La date de 1883 semble la plus probable car elle correspond à  la commercialisation des premiers tricycles de la firme et ces engins étaient considérés grâce à leur plus grande stabilité comme idéales pour « roving around » (littéralement tourner autour) c'est-à-dire pour de petits itinéraires de promenade. Ensuite l'incroyable succès de la Rover Safety Bicycle a provoqué le changement définitif d’appellation en Rover Cycle Company.

 

La Rover Safety Bicycle est généralement décrite par les historiens comme le premier vélo moderne, et il fait sans nul doute partie des plus grandes inventions de ces deux dernières centaines d'années. Il avait des roues de taille égale, l'entraînement par chaîne, une selle à ressorts, Ce vélo connaît un succès immédiat et il a été très rapidement exporté partout à travers le monde. Bien que la Rover ait marqué un tournant dans le développement de la bicyclette, il y avait encore beaucoup à faire. Le cadre n'a pas encore trouvé sa forme définitive et il n'y a pas, par exemple, de tube entre la selle et le boitier de pédalier. Les pneumatiques ont été introduits en 1888 et les freins encore très rudimentaires n’existent pas sur les premières versions de la machine.

JK Starley a déclaré dans un document présenté à la Société des Arts en 1898, «... mon but n'était pas seulement de faire une sécurité à vélo, mais de produire une machine qui soit la véritable Evolution du Cycle, et le fait que si peu de changement aient été effectué sur les caractéristiques essentielles de la position, que j’ai établi en 1885, prouve que je ne m'étais pas trompé sur les points vitaux nécessaires à cette fin. « ..my aim was not only to make a safety bicycle, but to produce a machine which should be the true Evolution of the Cycle, and the fact that so little change has been made in the essential positions, which were established by me in 1885, prove that I was not wrong in the cardinal points to be embodied to this end.”

A le lire ainsi John Kemp Starley donne le sentiment d’être celui qui a tout inventé de la bicyclette moderne et certains historiens ont également renforcée la portée réelle de l’invention de Starley. Il me semble que l’on doit louer John Kemp Starley pour sa remarquable capacité de synthèse et sa capacité à tirer le meilleur parti des connaissances techniques de l’époque ce qui est déjà beaucoup. Pour le reste la Rover Safety Bicycle s’intègre dans un lent processus de maturation et la filiation entre la première version de cette machine et la bicyclette de Lawson est évidente.

 

 

 

John Kemp est allé plus vite et plus loin que les autres dans la logique d’une bicyclette plus sure, plus confortable et accessible au plus grand nombre et en cela il faut bien reconnaître que cette nouvelle forme de vélo a révolutionné la capacité de l’homme à voyager et est devenu la forme la plus importante du transport de personnes. Il faut avoir à l’esprit que la seule autre forme de transport individuelle jusqu'à ce moment était le cheval. Cela donne une idée plus précise de la formidable démocratisation des déplacements engendrée par la bicyclette. Elle a donné ce pouvoir au peuple, et cette  que nous avons du mal à percevoir de notre siècle fut une fantastique évolution dans l’histoire de l’humanité.

En 1889, John Kemp Starley enfonce encore le clou de la démocratisation de sa bicyclette et il propose une bicyclette Rover pour dames, avec cadre bas et garde-jupe. Son prix est nettement plus bas que celui des modèles précédents, permet de toucher une classe de femmes plus populaires et probablement moins encombrées par les conventions. Les lourds tricycles que les plus audacieuses d’entre elles utilisaient depuis quelques années font bientôt vieux et sont abandonnés.
Fort du succès de sa machine, John Kemp Starley a fortement développé la capacité de sa société qui, à partir de 1889, changea officiellement et définitivement de nom, pour devenir la Rover Cycle Company Ltd, qui constituera la base du futur groupe MG Rover. Ce changement ne fit qu’entériner un état de fait car il y avait déjà plusieurs années que l’on désignait la société de John Kemp comme étant la Manufacture produisant la Rover Bicycle.

John Kemp Starley était avec le temps devenu un brillant et puissant industriel et comme beaucoup d’autres, il pressenti que l’avenir appartenait à de nouveaux modes de transports motorisés c’est pourquoi il se lança à la fin des années 1890 dans d’ambitieux projets de conception de motos et de voitures.

Il n’eut hélas pas l’opportunité de voir le fruit de ses efforts se concrétiser car il disparut soudainement en 1901. La société continua sans lui la préparation des premiers modèles et la production de motocyclettes et d'automobiles démarra peu après son décès. La production de bicyclette qui pendant de longues années avait été le fer de lance de l’entreprise déclina avec le début de la première guerre mondiale et s’arrêta définitivement en 1926.

A la fin du 19ème siècle, l’histoire de l’évolution de la bicyclette est marquée par un foisonnement d’inventions visant à rendre les engins plus performants et plus surs. Dans cette période de grande fertilité intellectuelle le grand mérite de John Kemp Starley a été de réussir la synthèse de ces inventions et d’en tirer la quintessence dans sa « Rover Safety Bicycle ». La bicyclette moderne ne s’est pas faite en un jour mais John Kemp Starley en a été l’accoucheur inspiré. Sa machine et toutes celles qui ont vu le jour dans la foulée, en offrant la mobilité individuelle au plus grand nombre, ouvrirent des perspectives immenses aux populations qui goutaient fort peu à l’aristocratisme du grand bi. Dans les années 1890, l’engouement pour la bicyclette fut fantastique notamment chez les femmes qui en firent un véritable support à leur émancipation, doit beaucoup à John Kemp Starley et cela méritait bien ce modeste hommage.

 

 

 

 

 

 

 

Pour en savoir plus

http://www.sewalot.com/ (ce site s’intéresse surtout à James Starley)
http://archipelago-of-truth.blog.co.uk/
http://www.fathom.com/
http://fr.wikipedia.org/

 
 

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