Le Petit Braquet
 
- John Boyd Dunlop
 
 

John Boyd Dunlop

 

Coup de chapeau à

 

John Boyd Dunlop

 

 

 

 

Dans le domaine de la bicyclette les inventeurs furent nombreux, très nombreux même, certains malgré des idées géniales ne passèrent pas à la postérité, il en est d’autres qui au contraire sont aujourd’hui encore mondialement connus de tous car leurs inventions ne contribuèrent pas seulement au développement de la bicyclette mais également à l’essor des engins à moteur automobile et motocyclette qui apparurent quelques décennies seulement après la petite reine. John Boyd Dunlop dont nous allons évoquer la contribution importante à l’histoire du cycle fait partie de ces personnages mondialement connus même si aujourd’hui on ne sait plus très bien quelle fut sa contribution à l’histoire du cycle.

John Boyd Dunlop est né en Écosse, le 5 février 1840 dans l’ancien district de Cunninghame qui depuis 1996 constitue le comté de North Ayrshire. Il a vu le jour dans une ferme du petit village de Dreghorn, situé au sud ouest de Glasgow face à l’ile d’Arran.

 

Les parents de John Boyd n’étaient pas de pauvres agriculteurs pouvant à peine subvenir à leurs besoins comme l’étaient la plupart des paysans de l’époque. Ils faisaient probablement partie de l’aristocratie paysanne de la région et ils étaient suffisamment aisés pour payer des études supérieures à leur fils afin qu’il devienne chirurgien vétérinaire. John Boyd fit ses études à l’université d’Edimbourg avant de s’installer comme vétérinaire dans sa région. Il y restera dix ans avant de partir s’installer à Belfast dans le nord de l’Irlande en 1867. Rien dans la vie de John Boyd Dunlop ne semble devoir le détourner de l’exercice d’un métier qui comme chacun le sait est avant tout affaire de passion et d’amour pour les animaux. Peut être John Boyd prend il plaisir à se promener sur ce nouvel engin que l’on nomme bicycle en référence au nombre de roues que possède l’engin mais rien ne le prédestine à devenir un accélérateur de progrès dans le domaine du cycle.

Durant cette période, les bicycles se perfectionnement doucement mais surement. On est passé de l’élégant mais casse gueule grand bi au Safety Bike beaucoup plus sécurisant et accessible au plus grand nombre. En 1839 Charles Goodyear a déposée le brevet de la vulcanisation du caoutchouc et en 1845, un autre écossais natif de Stonehaven, Robert William Thomson a inventé le premier pneumatique à partir de bandages en caoutchouc collé sur une jante. Thomson n'avait que 24 ans quand il fit breveter son pneumatique4en France en 1846 puis aux USA en 1847. Son pneu était composée d'une chambre creuse de caoutchouc gonflée à l'air pour que selon l’idée de l’inventeur, les roues disposent d’un coussin d'air au sol, le rail ou la voie sur lequel elles roulent. Cette chambre souple de toile caoutchoutée était enfermée dans une enveloppe extérieure réalisée dans un cuir épais qui était fixée par des boulons à la roue. Les « Thomson Aerial Wheels » furent présentées pour une démonstration dans Regent Park à Londres en mars 1847. Les roues ainsi équipées furent montées sur des voitures à cheval, et les observateurs admirent sans peine que cette invention améliorait considérablement le confort des passagers et qu’elles réduisaient considérablement le bruit de ce type de véhicule. Mais comme souvent une invention aussi géniale soit elle, ne passe pas à la postérité si elle ne trouve pas rapidement une application concrète. Le manque de robustesse du pneu et l’impossibilité de trouver une utilisation pratique à son invention, condamnèrent William Thomson à ranger son projet au placard. Inventer la chambre à air avant la bicyclette c’était, selon l’expression consacrée, mettre la charrue avant les bœufs et Thomson ne profita jamais des retombées fantastiques de sa géniale idée. En 1867, pourtant Thomson, qui était persuadé de la validité de son invention, déposa un nouveau brevet pour un caoutchouc vulcanisé et beaucoup plus solide que le précédent. Ces pneus qui furent testés sur des engins à vapeur d’un poids important montrèrent leur solidité et leur efficacité et ils furent apparemment produits et utilisés sur des machines à vapeur dans les pays de l’empire Britannique.

Robert Thomson in The Illustrated London News of March 29, 1873

Entre temps la bicyclette avait beaucoup progressé mais pourtant personne avant John Boyd Dunlop ne pensa à reprendre cette invention afin de l’appliquer à la petite reine.

Pour les enfants des familles bourgeoises de l’époque, la bicyclette était l’objet de toutes les convoitises, pour les autres il demeure un rêve inaccessible. Objet cher, le bicycle était souvent offert pour des occasions particulières comme un anniversaire, ou un cadeau de Noël. Il semblerait que John Boyd et sa femme aient acheté au petit Johnnie une bicyclette (certains parlent d’un tricycle…) pour son dixième anniversaire. Instrument d’indépendance, comme le fut un peu plus tard, la mobylette, la bicyclette permettait aux enfants et aux adolescents de se promener sans peine dans leur quartier et lorsqu’ils ne pédalaient pas pour le plaisir, ils s’en servaient pour se soustraire aux regards des parents. Il n’était pas rare de les retrouver en petit groupe discutant, bien souvent de bicyclette, à proximité de leur engin posé contre un mur ou allongé dans l’herbe. N’oublions pas que la bicyclette fut le premier engin qui permit à l’homme d’aller seul ou bon lui semblait, rapidement et sans l’aide d’un animal. La possession d’une bicyclette apportait indépendance et liberté. Il s’agissait alors d’une véritable révolution dont on mesure mal l’importance aujourd’hui tant les modes de déplacement et les techniques de communication ont évolués depuis.

A l’époque, il existait déjà des pneus pleins. Il s’agissait de minces boudins de caoutchouc dont le confort et le rendement étaient absolument médiocres. Tous ceux qui dans leur enfance eurent des pneus pleins sur leur vélo, peuvent témoigner de l’absence de souplesse de ces tubes noirs lourds et sujets aux déformations. Dans les rues pavées de la fin du 19ème siècle leur inconfort devait être flagrant, chaque bosse, chaque secousse devait se répercuter intégralement dans le corps du cycliste. Les utilisateurs de bicyclette ne le savaient pas encore mais le mauvais rendement de leurs roues munies au mieux de bandages de caoutchouc plein apparaitraient bientôt au grand jour, tant en ce domaine aussi l’invention de John Boyd ferait date.

En 1887, John Boyd Dunlop, a l’idée d'entourer les roues en bois de la bicyclette de son fils Johnnie (Certains parlent de son petit fils ou de son neveu mais c’est peu probable) avec des tubes en caoutchouc remplis d'air afin d’en améliorer le confort, le bruit, la vitesse et le rendement. Il a prétendu n’avoir jamais eu connaissance de l’invention de Johnsson, ce dont la majorité des historiens de la bicyclette doutent aujourd’hui.

Si l’on en croit ce qui semble pourtant relever de la légende entourant cette invention, Johnnie participait régulièrement à des courses qu’organisaient les jeunes garçons du quartier. Rien de formel et d’officiel dans ces petits matchs qui tenaient plus de jeu que de la véritable compétition sportive. Pourtant un jour, quelques adolescents ayant probablement plus l’esprit de compétition que les autres, décidèrent d’organiser une sorte de championnat local pour désigner le plus fort d’entre eux. Tous le monde se prit au jeu et s’entraîna de plus en plus sérieusement. Johnnie figurait parmi les plus motivés pour remporter l’épreuve mais comme il était un des plus jeunes compétiteurs, ses chances étaient moindres. C’est dit on, lors d’une conversation entre le père et le fils où ce dernier se plaignit de l’inconfort de sa machine que John Boyd eu cette idée géniale.

John Boyd Dunlop connaissait et utilisait déjà le caoutchouc dans son activité professionnelle et il se servait de feuilles de caoutchouc pour se confectionner des gants. Pour fabriquer son pneu il s’en inspira. Tout d’abord si l’on en croit certains, avec l’aide de son couteau, il façonna un morceau de bois rond et circulaire du diamètre des roues utilisées à l’époque. Ensuite, tout autour de ce qui constitue une sorte d’axe, il enroula des feuilles de caoutchouc qu’il colla spire par spire. Il obtint ainsi quatre tronçons qu’il réunit bout à bout pour en faire une chambre creuse fermée et à laquelle il fixa le tube d’un biberon afin de pouvoir plus tard le gonfler d’air. Sur les jantes en métal, il fixa ensuite un mince cercle de bois sur lequel à l’aide de bandes de coton, il attacha le pneu. Cela donne des roues à l’esthétique très curieuse comme en témoigne la photo ci-dessous.

 

Cette photo extraite de Life nous montre John Boyd mimant lors d’une reconstitution les premiers essais de son pneu à air qu’il effectua dans la cour de son officine.

 

Cette façon particulière de fixer le pneu sur la jante se révéla très vite comme le point faible de cette invention. En effet le fait d’envelopper les pneus dans du tissu eu comme conséquence la multiplication des crevaisons. En effet, de nombreuses petites pierres et autres objets indésirables s’accrochaient aux bandes de cotons et avec le temps finissaient par transpercer le caoutchouc.

La suite de l’histoire rejoint à notre avis définitivement la légende. Le père et le fils après avoir travaillé ensemble à la mise en pratique de l’invention, dans un élan commun attinrent enfin leur but : un pneu léger, solide, confortable, silencieux et surtout qui diminuait les efforts nécessaires pour faire avancer le vélo.

Le jour de la course arriva, et comme toujours dans les belles histoire, face à l’adversité, le héros d’abord moqué, raillé par ses ennemis vainquit sans coup férir… Johnnie gagna donc la course grâce à l’ingéniosité de son père. Dès le lendemain tous les copains de petit garçon passèrent au cabinet de son père pour lui demander de leur confectionner les mêmes pneus que ceux de Johnnie.

Au-delà de la légende magnifiant le génie d’un homme il est certain que l’invention de John Boyd Dunlop connu un succès immédiat dans le monde de la bicyclette. Très rapidement, les grands champions de l’époque l’utilisèrent avec succès. Chaque cycliste qui faisait l’achat des pneumatiques de Dunlop, recevait lorsqu’il achetait une nouvelle machine un nécessaire de réparation qui comprenait : une feuille de caoutchouc, de la colle et une paire de ciseaux. La rustine n’était pas encore inventée et le démontage des pneus n’étant pas aisé, il fallait, pour effectuer, la réparation être patient et méticuleux.

Il existe une autre version beaucoup plus terre à terre de la genèse de l’invention de Dunlop. Celui-ci, qui circulait régulièrement à bicyclette, constatait chaque fois qu’il montait sur sa machine et qu’il empruntait les routes chaotiques du comté d’Ulster combien les pneus pleins étaient lourds et peu efficaces. C’est cette réflexion qui l’amena à mettre au point son pneu gonflé d’air qu’il aurait d’abord expérimenté sur le tricycle de son fils. La seule chose sur laquelle les deux histoires s’accordent c’est que le père a d’une manière ou d’une autre fait tester le fruit de ses réflexions à son fils. Tout cela n’a finalement que peu d’importance au regard de l’invention en elle-même.

John Boyd Dunlop déposa le brevet du pneu à air avec valve le 7 décembre 1888. D’emblée les grandes marques de cycles britanniques montèrent les pneus Dunlop sur toute leur gamme. Le business prend très rapidement de l’ampleur et John Boyd fonde en 1889 l'usine Dunlop UK à Dublin en Irlande qui fut, avec celle installée la même année par les frères Michelin, la première manufacture de pneumatique au monde. En 1890, il cède son brevet à un Irlandais, William Harvey Du Cros contre 1 500 actions de la Société qu’ils ont fondée ensemble. John Boyd Dunlop ne semble pas avoir été très intéressé par le monde des affaires, en cédant ainsi ses droits sur son invention il ne fit pas fortune mais ce qu’il souhaitait avant tout c’était de pouvoir retrouver son métier et reprendre le cours habituel de son activité. Peut être était il plus heureux aux cotés des animaux qu’auprès de la bourgeoisie affairée qui l’entourait désormais.

Mais l'invention de Dunlop ne permettait pas une réparation facile en cas de crevaison, le pneu Dunlop étant littéralement collé à la jante et quasiment indémontable. L’énorme manuel d'utilisation faisait redouter les crevaisons aux cyclistes. Le temps nécessaire pour remettre en état un pneumatique que l’on pourrait définir comme une sorte de tubeless pour reprendre le nom d’un type de produit très à la mode aujourd’hui, fut  très vite le point faible du système mis au point par Dunlop face à l’ingéniosité des concurrents. Dès 1891, Édouard et André Michelin firent progresser la technique en mettant au point le premier pneumatique démontable avec une chambre à air. Les fondateurs de la firme de Clermont Ferrand venaient ainsi d’élaborer le pneu moderne tel qu’on le connaît aujourd’hui.  Édouard et André Michelin qui étaient également de bons vendeurs s’appuyèrent sur les compétitions cyclistes remportées par leurs poulains pour accroître leurs parts de marché. Mais le gâteau était immense avec la naissance de l’industrie automobile et très vite les hommes de la firme Dunlop s’adaptèrent et proposèrent des produits à peu près équivalents à ceux de Michelin.

’expansion de l’entreprise se poursuivit sans heurt. Une nouvelle usine vit le jour à Dublin et la société change de nom pour devenir la Dunlop Pneumatic Tyre Co. La firme connaît durant cette période une croissance rapide et elle exporte ses productions prioritairement dans l'Empire britannique et aux Etats-Unis mais également un peu partout en Europe où d’ailleurs elle s'implante également très vite. En 1893, la Dunlop Pneumatic Tyre Co. fonde à Levallois-Perret, la Compagnie Française du Pneumatique. L’usine déménagera deux ans plus tard à Argenteuil. En 1895 de nouvelles usines sont implantées en Australie et aux USA. C’est à peu près au même moment que la firme déplaça son usine principale à Coventry qui sera pendant de nombreuses années le siège social de la firme.

La société britannique s'installe également à Hanau en Allemagne L’extension de l’empire Dunlop continua les années suivantes avec une implantation au Japon dès 1909. Dunlop était dès lors devenu une véritable multinationale, fabricant et vendant ses produits partout dans le monde.


Immeuble du 38-42 May Street, Belfast, site de la première usine Dunlop

Le nom de Dunlop a largement survécu à son créateur et aujourd’hui encore la firme demeure parmi les grands noms de l’industrie du pneu. Pourtant du milieu des années 90 date à laquelle il a revendu son brevet, à son décès, survenu le 23 octobre 1921 nous ne savons quasiment rien de la vie de John Boyd. Il n’est pas sur que John Boyd Dunlop est un jour rêvé d’un tel succès international. Il semble que durant toute sa vie, il ait préféré vivre tranquillement en exerçant le métier qu’il aimait. Peut être préférait il la compagnie des animaux à celle des hommes. Les photos que l’on découvre de lui, le montrent, toutes, paisible avec une grande bonhommie sur son visage d’homme mur. D’autres nous le font découvrir circulant à bicyclette, loin de l’image que l’on pourrait avoir d’un homme dont l’invention se fabrique,  se vend partout dans le monde générant d’importants profits. Ne sommes nous pas finalement devant le coup de génie, l’instant de grâce d’un homme simple qui a, d’une certaine manière, fuit la fortune et les feux de la rampe, pour continuer à vivre comme il en avait envie. Simplement pour rester lui-même, inventeur certes mais aussi philosophe… Chapeau Monsieur Dunlop.

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