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- Chronique n° 25 - Marcel Kint
 
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Marcel Kint

Coup de chapeau à

 

 

Marcel KINT

 

Marcel Kint

Marcel Kint

 

 

(1914-2002) Si je parle d’un aigle noir, je crois que pour beaucoup d’entre vous, surtout parmi les plus anciens, c’est d’abord le refrain d’une célèbre chanson de Barbara qui reviendra à votre mémoire. C’est pourtant d’un autre aigle noir dont je veux évoquer la brillante carrière : le belge Marcel Kint.

Né le 20 septembre 1914 à Zwevegem, petite ville néerlandophone d’un peu plus de 20 000 habitants, située dans la Province de Flandre occidentale Marcel Kint fut l’un des plus brillants coureur cycliste belge de sa génération. Dans la famille Kint, le vélo est un peu une seconde nature, ainsi Léon Kint, frère de Marcel remporta la semi classique Belge Gand Ypres en 1939.

Marcel Kint commença à courir à 17 ans et très vite il s’affirma comme une valeur sure du cyclisme belge. Rouleur, sprinteur passant honnêtement les bosses il devint Champion de Belgique sur route en catégorie junior en 1933. L’année suivante alors qu’il n’a pas encore vingt ans, il remporte sa première grande victoire face aux professionnels en s’imposant lors de la 1ère étape du Tour de Belgique. Dès l’année suivante il frappe un très grand coup en s’adjugeant sa première grande classique : le Tour des Flandres (amateur) puis en prenant la 3ème place du championnat de Belgique. Ces résultats sont obtenus alors que Marcel Kint n’est encore qu’un indépendant qui ne bénéficie donc pas du soutien efficace d’une équipe.

En septembre 35 l’équipe professionnelle Mercier Hutchinson d’André Leducq réussit à le convaincre de passer professionnel. En 1936, Marcel Kint va découvrir les grandes courses étrangères et il va très vite s’y tailler une solide réputation : 4ème de Paris Nice en début de saison, il brille également dans le Tour de France qu’il découvre, en remportant une étape et en prenant la 9ème place au général. Après une année 1937 plus terne, marquée seulement par une 2ème place dans la Flèche Wallonne et le port du maillot jaune durant une journée sur le Tour il va réaliser une année 1938 exceptionnelle en s’adjugeant le championnat du Monde, Paris Bruxelles, trois étapes du Tour et en montant sur le podium de Liège – Bastogne – Liège, du championnat de Belgique et du Tour des Flandres. Il réussit un véritable exploit lors des mondiaux qui cette année là se déroule sur le difficile circuit de Valkenburg aux Pays Bas en s’imposant devant deux suisses Paul Egli et Léo Amberg le champion national. Huit coureurs seulement parvinrent au terme de cette édition harassante. Les 273 kilomètres sont couverts par le vainqueur à la moyenne de 34,5 kilomètres/heure ce qui constitue la plus petite moyenne dans un championnat du monde depuis 1930. C’est une grande année pour les Suisses car chez les amateurs c’est Hans Knecht qui est couronné sur les 170 kilomètres du circuit.

Pour les spécialistes, Marcel Kint champion du monde d’à peine 24 ans est promis à un bel avenir. Il est considéré comme le belge le plus talentueux de sa génération. Hélas le ciel de l’histoire s’assombrit de plus en plus. Les accords de Munich signés le 29 septembre 1938 par Chamberlain pour l’Angleterre, Daladier pour la France, Mussolini et Hilter font croire aux optimistes que la guerre est évitée. Pourtant, en cédant aux ambitions démesurées d’Hitler et en abandonnant la Tchécoslovaquie à un triste sort, la France et l’Angleterre n’ont fait que retarder l’échéance. Dans la tourmente qui enfle et qui bientôt va envahir l’Europe et le reste du monde, Marcel Kint continue à faire parler de lui. Il confirme son titre mondial en remportant le championnat de Belgique professionnel 1939, deux étapes du Tour et en prenant la seconde place de Paris - Roubaix. Il sait aussi se montrer un excellent équipier durant cette édition de la grande boucle en se mettant comme tous les autres coureurs au maillot noir de l’équipe nationale au service de son compatriote Sylvère Maes, brillant vainqueur à Paris.

Hélas, les belles années de Marcel Kint sont terminées, la guerre s’embrasse et envahit toute l’Europe. Très vite la Belgique, les Pays Bas et la majeure partie de la France sont occupées. Le sport n’a plus sa place dans une actualité faite désormais de catastrophes, de deuils et de rationnement.
En 1940, dans les zones sous le contrôle de la dictature allemande, la paix retrouvée n’offre pas une situation confortable. Les déplacements demeurent compliqués et Marcel Kint, comme les autres coureurs qui ont survécu à la guerre et qui ne sont pas prisonniers, ne participe qu’à quelques épreuves route et piste sur le territoire national. Il n’y a plus d’argent dans les caisses et les sponsors stoppent leurs investissements dans le cyclisme. Face à cette pénurie, Marcel redescend chez les amateurs à la fin de l’année. 1941 sera une année blanche pour l’aigle noir. Nulle part je n’ai retrouvé trace de son nom dans un quelconque palmarès. A t-il continué à courir, ou bien découragé a-t-il pensé à sa reconversion ? Aucun élément ne m’a permis de répondre à ces interrogations.

En 1941, le Reich allemand semble avoir la situation bien en main et tout doucement la circulation des personnes s’améliore. C’est une drôle de paix. Une semi liberté sous l’œil d’une police impitoyable qui recouvre la vie quotidienne d’une lourde chape de plomb. Miracle du cyclisme, la guerre ne réussit pourtant pas à éteindre l’enthousiasme des spectateurs. Mieux, si les confrontations internationales sont quasi inexistantes en cette période trouble, la ferveur du public demeure intacte et s’exprime chaque fois que cela est possible dans des épreuves forcément de moindre importance. En ces temps de pénurie de carburant, le vélo est redevenu le moyen de locomotion par excellence que se soit pour se rendre à son travail ou le dimanche muni d’un sac à dos pour aller à la recherche d’un improbable ravitaillement pour toute la famille. Monsieur Tout le monde peut désormais apprécié, jugé même à l’aune de sa modeste expérience, les exploits des coureurs. Modestement le cyclisme redémarre un peu partout en Europe. Certes les pelotons et les caravanes composées de quelques voitures à gazogène sont modestes pourtant comme le dit Jean Durry « l’essentiel fut sauvé : le sport cycliste survécut, les maillots aux vives couleurs continuèrent de donner à travers les campagnes ou les villes une note joyeuse, un écho des jours heureux ».

En juillet 42, Marcel Kint repasse professionnel, il a déjà 28 ans. Très vite il va faire parler la poudre en remportant Paris Roubaix 43 et la Flèche Wallonne trois années consécutives. Cet exploit reste unique dans les annales et seuls Eddy Merckx et Moreno Argentin ont réussi à s’imposer à trois reprises dans la Flèche.

 

    

En 1946 se déroule à Zurick-Neubühl le premier championnat du Monde professionnel de l’après guerre. Marcel Kint, huit ans après sa victoire est finalement le vainqueur sortant et en temps que tel il va magnifiquement tenir son rang. L’aigle noir fit forte impression tout au long de la course et à quelques kilomètres de l’arrivée il était seul en tête et sa victoire ne semblait plus faire de doute. On s’acheminait vers un doublé historique. C’était hélas sans compter sur la fougue de son jeune coéquipier Rick Van Steenbergen. Celui qui allait devenir le plus grand champion Belge avant l’arrivée du Cannibale Merckx (Van Steenbergen remporta 338 victoires sur route) sur de ses chances au sprint, ne respecta pas la course d’équipe. Il attaqua dans les tout derniers kilomètres ramenant dans sa roue, le Suisse Hans Knecht. Rusé, le Suisse profita de la fougue du jeune Van Steenbergen pour ne pas trop faire d’effort. Dans la côte pavée précédant l’arrivée il laissa sur place les deux belges dépités pour s’en aller cueillir la couronne mondiale. Ironie du sort, ce fut donc le dernier champion du monde amateur d’avant guerre qui s’imposait au dernier champion du monde professionnel d’avant guerre.

C’est un peu comme si rien n’avait bougé pendant cette longue et douloureuse période et que l’histoire du cyclisme avait repris un chapitre clos quelques semaines auparavant. Marcel Kint, déconfit et furieux prit la deuxième place devant un Van Steenbergen honteux mais qui sut par la suite retenir la leçon. Malgré son profil et son surnom d’aigle, Marcel Kint n’est pas un homme rancunier, bien au contraire. La défaite digérée, il semble avoir lié une vraie amitié sportive avec Rick Van Steengergen avec qui il forma pendant trois ans une paire redoutable et redoutée sur route comme sur piste où ils remportèrent ensemble 7 épreuves en trois ans. Hélas les meilleures années de Marcel Kint avaient été gaspillées dans la tourmente de la guerre et de l’occupation. A trente deux ans il a laissé passer sa dernière chance de reconquérir le titre mondial.

L’envie demeure mais Marcel Kint n’a plus la ferveur, le mordant de ses jeunes années et face à une jeunesse qui prend doucement le pouvoir il n’a pas la force de se battre et de tenir le haut du pavé comme seul Gino Bartali a le courage de le faire. La nouvelle génération emmenée par Rick Van Steenbergen et Fausto Coppi prend le pouvoir. Ferdy Kubler, Brik Schotte, Louison Bobet, Fiorenzo Magni commencent à dicter leur loi aux anciens, alors l’aigle noir replie doucement ses ailes et se contente désormais de courir en Belgique consacrant beaucoup de temps aux épreuves sur piste. Le temps d’un éclair il montre à tous ces jeunes loups son immense talent en décrochant un ultime grand succès lors de Gand Wevelgem 1949.

Comme beaucoup d’autres coureurs de sa génération, Marcel Kint a vu sa carrière profondément amputée par la période trouble qui a envahit l’Europe pendant six ans. A la veille de la guerre, alors qu’il n’a que 24 ans, l’aigle noir possédait déjà un palmarès digne des plus grands et gageons que, sans ces tristes évènements qui secouèrent le monde entier, il aurait été bien plus étoffé. Alors Monsieur Kint, chapeau pour votre brillante carrière, pour votre courage et pour votre amour de ce métier.

Marcel Kint est décédé le 23 mars 2002 à Courtrai.

Il fut également Champion de Belgique des Clubs en 1946 et 1947.
Il a été professionnel de 1935 à 1951 et il a gagné 77 courses

Marcel Kint a été engagé par différentes équipes:
1935 : Indépendant
1936 : Mercier-Hutchinson-A.Leducq
1937 : Fr. Pélissier
1937 à 1938 : Mercier-Hutchinson-A.Leducq
1938 à 1939 : Fr. Pélissier
1939 : Mercier-Hutchinson-A.Leducq
1940 à 1950 : Mercier-Hutchinson
1950 à 1951 : Girardengo
1951 : Mercier-Hutchinson

Palmarès

 

Résumé : 1 championnat du monde, 1 Paris Roubaix, 1Paris Bruxelles, 1 Gand-Wevelgem, 3 Flèche Wallonne, 6 étapes du Tour de France
1934 :
1er de Arras-Boulogne, de Bruxelles-Marke, de Sint Maria-Lierde et des Prix de Gits, Kaprijke, de Tourneppe, d'Ypres, de Zwevegem et de la 1ère étape du Tour de Belgique.

1935 :
1er du Tour des Flandres (amateur), du Tour de Belgique avec une victoire dans les 6ème et 7ème étape (amateur), des Prix de Alost, de Hoegaarden, de Ligny, de Kooskamp et de Zwevegem, de Bruxelles-Liège, de Jemeppe-Marche-Jemeppe et de la 1ère étape du Tour du Luxembourg

1936 :
1er de Anvers-Gand-Anvers, de la 19ème étape secteur A du Tour de France (9ème au général) et de la 2ème étape du Tour de Belgique.

1937 :
1er des Prix de Rollegem et de Avelgem.
2ème de la Flèche Wallonne et du Circuit des Régions Flamandes.

1938 :
Champion du Monde sur route.
1er de Paris-Bruxelles, du Grand Prix d'Espéraza, des 15ème, 16ème et 18ème étapes du Tour de France (9ème au général), des Critériums de Herve et de Mons.
2ème de Liège-Bastogne-Liège.
3ème du Championnat de Belgique et du Tour des Flandres.

1939 :
Champion de Belgique sur route.
1er de Anvers-Gand-Anvers, de Ransart-Beaumont-Ransart, de la 8ème secteur A et la 18ème secteur B du Tour de France, du Critérium de Molenbeek et du Prix de Zottegem.
2ème de Paris-Roubaix.

1940 :
1er du Circuit de Belgique, des Critériums de Visé et des As à Bruxelles.

1942 : repasse professionnel en juillet après une année en amateur
1er à Gullegem.

1943 :
1er de Paris-Roubaix, de la Flèche Wallonne, du Circuit de Belgique, du Tour du Limbourg, de Bruxelles-Paris et du Prix de Deize.

1944 :
1er de la Flèche Wallonne, du Prix du Printemps à Gand et des Prix de Nokere, de Ninove et de Wingene.

1945 :
1er de la Flèche Wallonne, de la Flèche Flamande, du Circuit des Ardennes Flamandes, et des Prix de Mont-sur-Marchienne, de Bellegem et d'Eke.

1946 :
Champion de Belgique des Clubs.
1er de Liège-Vichte et des Prix de Lauwe, d'Ingelmunster, de Vichte, de Brasschaat, de Meslin-l'Evèque et de Quaregnon.
2ème du Championnat du Monde.

1947 :
Champion de Belgique des Clubs.
1er du Prix de Staden et des 6 heures de Zürich avec Rik Van Steenbergen.

1948 :
1er des 6 jours de Bruxelles, du Trophée des Routiers et de l'Omnium des Champions, ces 3 courses avec Rik Van Steenbergen, et du Prix de Waremme. 2ème des 6 jours de Gand et 3ème des 6 jours de Paris avec Rik Van Steenbergen

1949 :
1er de Gand-Wevelgem, des 6 jours de Bruxelles avec Rik Van Steenbergen et du Prix de la Chapelle-Lez-Herlaimont ainsi que 8 victoires sur piste (américaine et omnium)

1950 :
1er du Prix de Tournai.

1951 :
1er du Circuit des 11 Villes

PARIS ROUBAIX

A 50 km de l'arrivée de Roubaix, Marcel Kint (Belgique) rejoint par Jules Rossi (Italie). "Roue dans roue" (Rossi en tête sur la photo) les deux compères préfèrent choisir le trottoir cendré plutôt que les terribles pavés. Mais la rupture n'est pas loin... Kint a déjà bien du mal, et Rossi a du mal à assurer tout le travail face à un fort vent du nord. La course sera finalement remportée par Lucien Storme (Belgique) pour sa 1ère année professionnelle.
De "Match l'Intran" No.622, le 19 avril 1938.

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