Le Petit Braquet
 
- Chronique n° 15  Maurice Martin
 
 

Coup de chapeau à

Maurice Martin

Maurice MARTIN - [1861 - 1941]

 

 

« L'avènement de la bicyclette, écrivit Joseph Henry Rosny (l’auteur de la guerre du feu) en 1898, est quelque chose d'infiniment plus important qu'une nouveauté sociale: c'est l'un des plus grands événements humains qui se sont produits depuis l'origine de notre race. Et je ne sais si l'invention du feu, de l'écriture ou de l'imprimerie eut plus d'importance, mais je vois clairement que la bête lente en laquelle s'était converti l'homme après avoir sacrifié ses pattes avant pour toucher l'univers, est devenue non une bête rapide, mais l'une des plus rapides. Les conséquences d'un tel fait sont incalculables et je ne développerai pas ici la thèse selon laquelle la bicyclette serait le premier stade de l'aviation ».
Maurice Martin fait partie de ces hommes qui faisant siennes les affirmations de J H Rosny a consacré une bonne partie de sa vie à la bicyclette et à son développement. J’ai bien écrit bicyclette et non pas cyclisme car Martin était avant tout un amoureux de la petite reine, aussi bien comme moyen de découvrir le monde que comme objet sportif c’est pourquoi il a beaucoup compté dans le petit monde du cyclisme et du cyclotourisme pendant près de 50 ans.

Né en 1861 à Bordeaux, Maurice Martin a effectué des études commerciales qui l’ont tout naturellement amené a exercé son activité dans le négoce du vin. Il possédait une situation sociale que nous pouvons qualifier de relativement aisée, pourtant son destin allait basculer avec l’arrivée de la bicyclette. Il comprit très vite, comme Vélocio, l’intérêt de cette nouvelle technologie ainsi que les formidables possibilités qu’elle offrait et il y consacrât toute son énergie pendant une bonne partie de sa vie, à la fois pour en explorer les multiples possibilités et pour œuvrer à son développement.

Au début des années 1880 on le retrouve comme un des membres fondateurs du Veloce Club Bordelais. En 1890, le club comptait environ 400 membres et était le plus important de France. Loin de considérer cet essor comme suffisant, Maurice Martin, en collaboration avec le Président du club, Pierre Rousset, crée un hebdomadaire le « veloce sport » en 1885. Pendant de nombreuses années il fait partie du comité éditorial du journal qui est alors présidé par Fernand Ladeveze le vice président de l’Union Velocipédique Française, la plus importante fédération française de cyclotourisme. En 1888, le « veloce sport » est l’organe officiel de l’UVF et Maurice Martin en devient l’un des copropriétaires l’année suivante. Il collabore régulièrement au journal et au-delà de l’actualité des courses, axe ses articles sur le cyclotourisme. Il veut faire partager sa joie de découvrir son pays par un moyen de locomotion idéal. Rapide (plus que la marche à pied), sans risque d'ennuis mécaniques graves : « dame Pédale nous met en relation immédiate avec notre environnement, ses odeurs, son relief, ses habitants» déclare-t-il.

Maurice Martin

Durant cette période, Maurice Martin est partout. On le retrouve dans les instances nationales du cyclotourisme, il est l’inspirateur des brevets de randonnée, il crée une épreuve que nous sommes nombreux à considérer comme une des plus belles du monde, il pédale également beaucoup et il écrit et raconte ses récits de voyage dans des articles et des livres. Tout s’entrecroise et se recoupe sans cesse alors plutôt que de vous embarquer pour une chronologie embrouillée voyons l’action de Maurice Martin au travers de ces différentes perspectives.

Au sein des institutions du cyclotourisme et surtout de l’UVF Martin joue un rôle très important. Il souhaite faire la part belle aux cyclotouristes qui représentent plus de 95 % des 30000 licenciés de l’Union face aux coursiers. Il échouera finalement face à ceux qu’il appelle « les mangeurs de route », (l’UVF deviendra bien plus tard la FFC) et les cyclos vont peu à peu se regrouper au sein du Touring Club de France. Son influence est pourtant suffisamment grande pour qu’il réussisse à imposer la création d’un nouveau type d’évènements cyclistes : les brevets. C’est en effet à son initiative et non pas à celle d’Henry Desgranges comme on le croit bien souvent, que sont nés les brevets de randonneurs qui vont remporter très vite un franc succès. Le diplôme des 100 km, dénommé à l'origine « Brevet des vélocipédistes » apparaît en premier puis Martin propose un brevet des 500 kilomètres. Grâce à ses efforts, le cyclotourisme commence à se structurer à devenir une activité sportive à part entière. On peut également lui attribuer la paternité des randonnées. Pour beaucoup la première randonnée organisée fut Paris Brest Paris mais en fait il n’en est rien. Pierre Giffard son créateur, qui était rédacteur en chef du « Petit Journal » lança son épreuve le 6 septembre 1891, suite au succès du premier Bordeaux Paris le 23 mai 1891. Paradoxe de l’histoire, la première édition de Bordeaux Paris était réservée aux amateurs alors que celle de Paris Brest Paris était ouverte aux professionnels pourtant c’est elle qui est devenue l’épreuve référence des randonneurs.

A partir de 1898, Maurice Martin semble être hors du jeu politique, Vélocio assume le leadership en ce qui concerne le cyclotourisme et Henry Desgranges est déjà l’homme fort du cyclisme de compétition. Martin s’intéresse alors  beaucoup moins au cyclotourisme de masse qu’aux rallyes automobiles et à l’aviation, comme une bonne partie de la bourgeoisie de l’époque.

Maurice Martin doit être considéré avec les dirigeants du Veloce Club comme le créateur de Bordeaux - Paris en 1891. Dans son esprit, il ne s’agissait pas de créer une course cycliste mais un grand rassemblement cyclosportif destiné à montrer à tous, les immenses capacités de la bicyclette moderne sur de longues distances. Il faut se souvenir qu’à l’époque, la bicyclette moderne «  the safety bike » comme on l’appelle alors, ne s’est pas encore définitivement imposée face au grand bi. De part son règlement particulier et son aura dès la première édition, Bordeaux - Paris allait très vite devenir mythique et être considérée pendant de nombreuses années comme la plus grande course professionnelle du monde. Paris Roubaix, apparue en 1896, fut même pendant un temps une simple épreuve de préparation avant Bordeaux - Paris…

Hippolyte Aucouturier
   Hippolyte Aucouturier - Vainqueur en 1903 de Bordeaux-Paris

Maurice Martin n’a pas fait qu’œuvrer pour le développement du cyclotourisme, il fut également un spécialiste des grandes excursions y consacrant régulièrement ses vacances et ses jours de repos. Flâneur, épicurien, il se définit lui-même comme « veloceman-touriste ». A bicyclette ou sur un tricycle, il parcourt ainsi la France et l’Europe. Il estime, en 1898, qu’il a  parcouru environ 130 000 kilomètres en vingt ans, traversant 44 départements français, et poussant ses randonnées jusqu’en Angleterre, Italie, Espagne, Belgique, Suisse, Allemagne et Pays Bas. En 1888 accompagné de quelques autres membres du Veloce Club, il effectue un long raid aller retour entre Bordeaux et Genève. L’année suivante il réalise, en compagnie de deux amis Oscar Maillote, du Veloce Club Bordelais et Georges Thomas, Président de l’UVF le parcours qui allait finalement le rendre célèbre deux ans plus tard : Bordeaux -- Paris.

A cet instant c’est l’homme de plume qui devient intéressant. De ce voyage de 720 kilomètres entre Bordeaux et Paris effectué en sept jours à la fin du mois d’août 1889, il tire une série d’articles évoquant les paysages, les conditions du voyage et d’hébergement. Ces articles sont compilés dans un livre qui parait en 1890 : Voyage de Bordeaux à Paris par trois vélocipédistes, (Bordeaux, Véloce-Sport). Ce livre paraît trois ans à peine après : "Around The World on a Bicycle" (1887) de l’Americain Thomas Stevens dont nous avons évoqué la vie dans un précédent coup de chapeau. Il est probable que Maurice Martin connaissait l’histoire du voyage de Stevens en tout cas il est le premier en France à mettre par écrit ses relations de voyage à bicyclette. Ce qui fait également l’intérêt du livre de Martin pour ses contemporains c’est qu’outre les péripéties du voyage il présente aussi les routes, les curiosités à ne pas manquer et les conditions d’hébergement. Il est reconnu comme journaliste et publie désormais des articles dans le célèbre magazine « l’Illustration », pour le journal «la petite Gironde» et également pour la revue du Touring Club de France. Ces relations de voyage sont une sorte de guide bleu avant l’heure. D’ailleurs le Touring Club de France ne s’y est pas trompé, en 1898 le second livre de Maurice Martin, basé lui aussi sur ses voyages et intitulé «Une grande enquête sportive» vaut à son auteur la distinction de «Premier Touriste de France».

 

«Carte Vélocipédique » du temps de Maurice Martin

Avec le début du 20ème siècle, Maurice Martin a quelque peu abandonné le devant de la scène du petit monde de la bicyclette s’intéressant à l’automobile et à l’immobilier. Il fait partie de cette bourgeoisie qui a reporté son intérêt vers d’autres disciplines quand le peuple a fait de cette géniale invention quelque chose de simplement utile et populaire. Il est malgré tout resté fidèle à sa passion, demeurant toujours dans les instances dirigeantes de l’UVF mais c’est surtout comme inamovible starter de Bordeaux Paris que l’on retrouve sa trace. Il est au départ de toutes les éditions, toujours avec sa longue barbe et son chapeau noir. Tout comme Pierre Giffard du «Petit journal» on retrouve Maurice Martin dans l’organisation du premier Bordeaux Paris Bordeaux automobile de 1895. Devinez quel fonction occupe Martin… commissaire de course…

Dernier grand coup de cœur de Maurice Martin : la côte d’argent. "La Côte d'argent symbolise tout ce littoral ourlé d'écume éblouissante" écrivit Maurice Martin, inventeur du terme "côte d'argent" en 1905.

En 1906 il publie «D'arcachon À Biarritz À Travers Les Grandes Landes - La Côte D'argent - Partie Méridionale» - Par Maurice Martin Editeur :  Imprimerie G. Gounouilhou à Bordeaux.

Il éprouve un coup de foudre pour le site d’Hossegor. "Ce fut pour moi, raconte-t-il, une révélation et un prodigieux enchantement. J'arrivais à vélocipède d'un long voyage à travers la Suisse, le nord de l'Italie et tout le Midi français".

Il oeuvra beaucoup pour la création de la station d’Hossegor qui a depuis honoré sa mémoire avec une statue, détruite il y a quelques années. Ironie du sort, lors de l’inauguration de ce  mémorial en 1953, huit ans après sa mort, seul Achille Joinard de la FFC était présent. Le cyclotourisme qu’il s’était toujours attaché à défendre face au cyclisme de compétition l’avait déjà oublié…

Maurice Martin n’est pas un champion cycliste mais plutôt un apôtre du cyclisme, un de ceux qui inlassablement, tel un missionnaire a battu les villes et les campagnes pour faire vivre et croître sa passion. Alors pour cette passion, pour Bordeaux – Paris - Chapeau, Monsieur Maurice Martin.

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