Le Petit Braquet
 
- Marley Gilberto
 
 

Gilberto Marley

Coup de chapeau à

 

Gilberto Marley

Marley Gilberto

 

Voilà un homme qui, contrairement à ce que son nom pourrait laisser à penser, n’a pas consacré sa vie à la musique mais aux sports. Coureur cycliste, authentique champion de la fin du XIXème siècle, Gilberto Marley est ensuite devenu une figure incontournable du sport italien en participant à la structuration du mouvement sportif et en étant le pionnier du chronométrage professionnel.

Gilberto Marley est né en Angleterre en 1870. Nous ne savons pas précisément dans quelle ville l’évènement s’est produit mais une carte postale datée de 1889, relatant ses exploits à un membre de sa famille resté au pays, en Angleterre, est envoyée à South Norwood Park. Cette ville est située dans le Comté du Surrey, à proximité de Londres.

On peut supposer, sans certitude aucune, que Gilberto Marley est né dans cette banlieue sud de Londres où vingt ans plus tard, sa famille est toujours présente.

Alors que Gilberto avait à peine deux ans, ses parents s’installèrent en Italie où il grandit et où il s’installa définitivement.

 

Sur une carte postale datée de 1889, envoyée à une membre de sa famille vivant toujours en Angleterre, nous apprenons que la famille Marley, possède une entreprise à Milan : Marley Brull and Co.

C’est très jeune, à l’âge de quatorze ans qu’il aurait débuté la compétition cycliste dans la région de Monza en Lombardie où ses parents devaient résider à l’époque.

Dans l’histoire du sport cycliste les années 1885-1890 sont encore des années floues, où les disciplines et les épreuves ne sont pas encore fixées. Le bicycle est en grande perte de vitesse mais il demeure le plus utilisé dans les épreuves officielles. Il cohabite désormais avec les bicyclettes dites safety et les tricycles. En France, par exemple, le championnat de vitesse professionnel se disputa sur bicycle jusqu’en 1890 alors qu’un championnat amateur de vitesse sur tricycle exista de 1890 à 1894. Gilberto Marley est un champion de cette préhistoire du cyclisme. Il participe aux épreuves de bicycle et de tricycle. Sur ces deux engins, il est intouchable dans la péninsule italienne. Il décroche 4 titres nationaux en trois ans dont un sur tricycle. Ces victoires apparemment écrasantes lui auraient valu le surnom surprenant de « Castigo di Dio » le châtiment de Dieu…

La carte postale ci-dessus est d’un grand intérêt car elle relate au dos la façon dont le Championnat de Tricycle ainsi que l’épreuve sur route 1889 se sont déroulés.

« Dimanche. Gilbert a terminé deuxième, mais il réclama la première place pour une irrégularité. L'irrégularité a été reconnue, mais le jury a décidé que, si la plainte était bien recevable dans une course normale, il considérait qu’un événement majeur comme le Championnat Italien ne devait pas être affecté par une irrégularité. En conséquence, il (le jury) a décidé que la course devait être recourue le lendemain.
Lundi, ce fut une nouvelle course. Gilbert l’a emporté facilement devenant ainsi Champion d'Italie de Tricycle .

Bicycle, courte distance.
Gilbert a renoncé à courir la course disputée lundi, ne se sentant pas en état (pour courir) tout de suite après une course de tricycle difficile, d'autant plus que le Championnat bicycle, de 120 km, course sur route ; championnat longue distance  se dispute aujourd'hui, le 12 Juin (Note de l'éditeur mercredi). Premier Gilbert. Durée : 5 heures et 4 minutes. Cela lui permet d’être Champion d'Italie de longue distance  pour la troisième année consécutive. »

Au début de 1890, à l’âge de 20 ans, auréolé de ses victoires, Gilberto Marley semble avoir mis un terme à sa carrière. Con Marley finisce l'era dei bicicli. Avec Marley se terminait l’ère du bicycle. Une page d’histoire venait de se tourner. En effet, cette même année, c’est le comte Braida qui gagne le championnat sur route à Trévise sur bicyclette équipée bien évidemment d’une chaîne et de pneus pleins, parcourant les 120 kilomètres à la moyenne de 26,658 km.

Il ne nous a pas été possible, malgré toutes nos recherches, de connaître les raisons de ce brusque arrêt. Gilberto Marley, qui est issue d’une famille aisée, a pratiqué le bicycle à un moment où les classes les plus riches s’y intéressaient. Il est probablement passé à autre chose, comme beaucoup de jeunes de bonne famille, quand ce sport s’est trop démocratisé. C’est le moment où la bicyclette, moins difficile à utiliser que le bicycle a triomphé, ouvrant par la même sa pratique au plus grand nombre.

Nous ne trouvons aucun résultat concernant Gilberto Marley au-delà de 1889, pourtant si l’on en croit le Véloce Sport du 9 février 1893, celui-ci aurait continué à courir jusqu’à la fin de l’année 1891 ou le début de l’année 1892.

L’absence totale de Gilberto Marley dans les résultats cyclistes italiens pour les années 1891 et 1892, laisse supposer à une erreur de date de la part du journal « Le Véloce Sport », qui traitait d’abord des courses françaises avant d’évoquer par de brefs entrefilets, les nouvelles vélocipédiques de l’étranger où ses renseignements de seconde main n’étaient pas toujours d’une rigueur à toute épreuve.

Quand après une parenthèse de trois ans, Gilberto Marley, qui visiblement aimait toujours autant ce sport, décida de faire son retour à la compétition, les choses ont définitivement changées. Le bicycle est désormais rangé au rang des antiquités, le tricycle est passé de mode et la bicyclette règne maintenant sur l’univers des courses cyclistes. Le temps perdu ne se rattrape plus. Jamais. Gilberto Marley allait hélas pour lui, en faire l’amère expérience.

Fini le temps où il triomphait aisément de ses adversaires, remportant avec aisance les courses qui s’offraient à lui. Désormais la concurrence a progressé, elle est plus nombreuse et beaucoup mieux entraînée. L’émulation entre les différents concurrents à bien évidemment relevé le niveau général et Gilberto Marley a quand à lui du mal à se faire à la bicyclette. L’expression est incorrecte, disons plutôt que pour être un bon pilote de bicycle, il faut outre des qualités physiques, un sens de l’équilibre, une agilité qui ne sont pas point nécessaires sur une bicyclette où la performance est étroitement liée au moteur du coureur. Une seule fois, à la fin de 1894, nous retrouvons sa trace dans une épreuve cycliste sur piste. Lui qui naguère, souple et aérien, juché sur son bicycle était un prince n’est plus qu’un ange déchu. Comme les albatros, ces rois de l’azur, chantés par Charles Beaudelaire qui, au sol,

« laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner derrière eux… »

Sur une bicyclette, Gilberto Marley n’est qu’un coureur ordinaire, un second couteau. Passer ainsi de la lumière à l’ombre n’est pas une chose facile à vivre et finalement à 24 ans, il tire un trait définitif sur sa carrière de coureur cycliste.

Pendant huit longues années, on perd totalement la trace de Gilberto Marley. C’est une période, où il se consacre probablement à sa carrière professionnelle. Peut être œuvre-t-il au sein de la « Marley brull and Co » dont nous avons évoqué l’existence en 1889. En tout cas, lorsque son nom réapparaît en 1902, Gilberto Marley est visiblement une personnalité respectée, ayant une position sociale enviable, « un autentico gentleman sportivo ». Le 16 janvier 1902, il est avec ses amis Romolo Buni Ambrogio Ferrario, et quelques autres, le fondateur de l’Unione Sportiva Milanese. Ce petit groupe qui se réunissait chaque soir au Café Verdi dans le quartier de Porta Nuova pour jouer aux cartes et au billard, aurait créé le club dans ce Café.

Parmi ses amis, on retrouve un autre cycliste connu, Romolo Buni, surnommé le petit diable noir. Né en 1871, Romolo Buni était devenu célèbre en 1893, grâce à sa victoire contre les champions Français Médinger et Cassignard sur le vélodrome de Milan. L’année suivante, il fut le premier coureur italien à être opposé à un cavalier : Buffalo Bill. En 1909, à l’âge de 38 ans, il prit le départ du premier Giro.

L’Unione Sportiva Milanese a développé d’abord ses activités autour de sa section cycliste animée par Buni et Marley puis dès l’année suivante, les dirigeants décidèrent d’ouvrir une section football, confirmant ainsi le statut de club omnisports de l’Union Sportive Milanaise. Parmi les autres activités du club on trouve l’aviron et le rugby. Trésorier du club de 1902 à 1906, Gilberto Marley en deviendra ensuite le Vice Président de 1907 à 1909. De 1928 à 1945, le club, dont la section football est désormais la plus importante, est rattaché à l'Inter de Milan pour former la SS Ambrosiana avant de disparaître.

 

Dans le même temps, Gilbert Marley s’adonne à une autre passion ; l’analyse de la performance, la gestion du temps et le chronométrage sportif. Pour lui, les performances sportives se doivent d’être mesurées avec précision afin d’établir des classements rigoureux et d’établir des comparaisons s’appuyant sur des données fiables. Ces idées vont rapidement trouvées un écho favorable parmi les sportifs mais aussi parmi les officiels qui ne veulent plus faire face à des situations grotesques comme en 1903 lors des championnats d’athlétisme qui se déroulèrent sans chronométrage et donc sans qu’aucun temps puisse être mesuré. Gilberto Marley que ses relations familiales et professionnelles lient profondément avec l’Angleterre, y trouvera sans difficulté les outils nécessaires à une mesure de qualité. Il sera ainsi le premier à introduire dans la péninsule un chronomètre avec une précision au dixième de seconde. Ses compétences et son sérieux font assez rapidement de lui un homme reconnu à tel point qu’il n’est pas exagéré de dire qu’à l’époque, il est le Monsieur Chronomètre Italien. En une dizaine d’années, il officie avec succès lors de centaines d’épreuves : courses cyclistes, ou automobiles, épreuves d’athlétisme et meetings aériens. Il a ainsi l’honneur de donner le départ de la première édition des deux plus grandes compétitions sportives qui se créent en ce début de XXème siècle en Italie.

Le 6 mai 1906, à Campofelice di Roccella en Sicile, c’est lui qui officie au chronomètre pour le départ de la légendaire classique automobile,  la Targa Florio. On retrouve parmi les quelques pilotes présents à cette première édition, Vincenzo Lancia au volant d’une Fiat.

Le 13 mai 1909, il a également le privilège de donner le départ du premier Tour d'Italie et pour la petite histoire de regarder son ami Romolo Buni foncer sur sa machine...

Toutes les disciplines sportives intéressent Gilberto Marley que l’on retrouve également aux commandes de ses instruments de mesure lors des premiers meetings aériens donnés dans la péninsule. Il est ainsi, en tant que chronométreur officiel du Touring Club Italien, responsable du bureau de chronométrage pour le concours aérien de Vérone qui se déroule du 20 au 30 mai 1910.

Après la guerre, les compétitions internationales se développent et d’une manière générale, le sport prend de plus en plus d’importance dans tous les pays à tel point que le chronométrage devient une affaire sérieuse, qui ne peut plus être laissé aux mains de simples amateurs. Gilberto Marley se rend compte, lui qui depuis de nombreuses années sillonnent les routes italiennes pour assurer le chronométrage de nombreuses compétitions qu’il est nécessaire désormais de structurer cette activité et de la professionnaliser.

Le 3 Novembre 1921 à Milan et plus précisément au numéro 20 du Corso di Porta Genova, est créé le syndicat des chronométreurs officiels italiens, (SICU, Sindacato Italiano Cronometristi Ufficiali). Les fondateurs étaient Gilberto Marley, Carlo Legnazzi, Leonardo Acquati Achille Macoratti, Giancamillo Avezzano et Ferruccio Massara. Le 19 avril 1922, lors de son assemblée, le syndicat comptait seulement 9 chronométreurs de 1ère Catégorie, 2 de 2ème  Catégorie et 15 Aspirants pour un total de seulement 26 unités.  La reconnaissance de la légitimité et de l’utilité de ce syndicat vient pourtant très rapidement. Dès l’Assemblée Générale de 1924, les dirigeants pouvaient s’enorgueillir de fait que la quasi-totalité des Fédérations Sportives Italiennes, qui avait besoin de chronométrage dans leur discipline, soutenaient désormais le SICU. Celui-ci a été reconnu par le Comité Olympique National Italien (CONI) en septembre 1925. Depuis 1927, cette structure s’appelle l’Association des Chronométreurs Italiens (AIC, Associazione Italiana Cronometristi) avant de devenir en 1945, la Fédération Italienne des Chronométreurs (FICR, Federazione Italiana Cronometristi).

Gilberto Marley met également l'accent sur les aspects éducatifs et théorique du chronométrage. Il est le rédacteur de la première édition d’un manuel « prontuario della prima ora » destiné à faciliter le calcul de la vitesse, en particulier dans les circuits de course automobiles mais également  pour toutes les autres compétitions.

Durant les années suivantes, Gilberto Marley est nettement moins présent dans les manifestations sportives, il se consacre semble-t-il, à ses affaires. Il est décédé d’un infarctus dans la nuit du 26 au 27 décembre 1939 à Blevio au bord du lac de Côme.

 

Gilberto Marley est un personnage important dans l’histoire du sport italien et plus particulièrement du cyclisme pourtant on sait finalement très peu de chose sur la vie de ce gentleman anglo-italien. Quadruple champion d’Italie sur bicycle, il fut présent au départ des plus grandes compétitions de la péninsule, assumant avec talent la charge du chronométrage officiel, tant sa compétence en ce domaine était incontestable. Il peut, sans nul doute, être considéré comme le père fondateur de la Fédération Italienne des Chronométreurs (FICR, Federazione Italiana Cronometristi), initialement dénommé SICU. Sans officiels, garants du respect des règles et capables d’attester des temps réalisés par les athlètes, les épreuves sportives n’auraient que peu de sens et de valeur. La performance n’existe en tant que tel que parce qu’elle est quantifiée et comparable. En cela, des hommes comme Gilberto Marley, en s’attachant à mesurer et par la même à donner des points de repères au public et aux athlètes, ont joué un rôle fondamental dans la construction de sport moderne.

 

 

Palmares

1887   

  • Champion d’Italie sur route à Milan quartier Rogoredo (bicycle).
  • Tracé : Milano-Binasco-Pavia-Belgioioso-Corteolona-Casalpusterlengo-Lodi-Melegnano-Rogoredo.

1888

  • Champion d’Italie sur route àCarignano, commune de la province de Turin, (bicycle).
  • Tracé : Carmagnola- Cavallermaggiore-Savigliano-Saluzzo-Carignano

1889   

  • Champion d’Italie sur route à Pavie (bicycle) 120 kilomètres en 5 heures et 4 minutes.
  • Champion d’Italie de tricycle

1894   

  • Eliminé en série d’une internationale de vitesse sur le vélodrome de Milan en septembre

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