Le Petit Braquet
 
Chronique n° 53
 
 

Louis Bouglé

 

Coup de chapeau à

 

Louis BOUGLE

 

 

 

Pour la plupart d’entre nous, le nom de Monsieur Spoke, évoque que l’on soit fan ou non, la fameuse série télé Star Trek, pourtant bien avant que les auteurs de ce célèbre feuilleton inventent leurs personnages, un homme s’était lui aussi fait appeler Spoke. Sa vie passionnante qui touche de près le petit monde du cyclisme mérite d’être évoquée ici. Il suffit parfois d’un détail infime pour qu’une personne passe à la postérité plutôt qu’une autre. « the right man at the right place », selon l’expression consacrée. Etre au bon endroit au bon moment. Pas juste avant pas juste après, non être là à l’instant « t » et avoir l’idée ou l’intuition de quelque chose au moment opportun. A bien y regarder la vie de Louis Bouglé alias Monsieur Spoke reflète parfaitement cette maxime.

 

Né à Orléans en 1864, dans une famille aisée, Louis Bouglé a vécu une grande partie de son enfance aux États-Unis. La situation financière familiale lui donna l’opportunité, durant cette période, d’effectuer de nombreux voyages outre Manche et d’être ainsi totalement bilingue.
Il est impossible de dire si c’est aux Etats-Unis, en France ou en Angleterre que Louis Bouglé s’est découvert une fervente passion pour la bicyclette qui, il ne faut pas l’oublier, n’était pas encore un sport de masse mais plutôt une discipline élitiste ayant pour quelque temps encore la faveur de l’aristocratie et des milieux artistiques. Cet amour de la bicyclette s’est exprimé assez tardivement car il a déjà 29 ans quand il commence à faire parler de lui sur la piste Parisienne de Buffalo.

 

Louis Bouglé pour exercer son activité de coureur cycliste sur piste se fait désormais appeler L. B. Spoke. Pourquoi ce surnom ? Difficile de répondre avec certitude à cette question mais il s’agit d’un surnom assumé par Louis Bouglé qui manie les mots avec brio. En anglais, rayon se traduisant par Spoke, Louis Bouglé qui s’habille déjà à l’anglaise, s’est probablement beaucoup amusé en choisissant ce surnom qui évoque à la fois sa passion sportive, son bilinguisme et qui peut aussi faire penser à sa silhouette souple et longiligne. Bien qu’issue d’une famille bourgeoise aisée il n’y a pas chez lui, j’en suis persuadé, la volonté de protéger son nom d’une activité ludique et peu sérieuse qui aurait pu nuire à l’image de marque de la famille. Tout au long de sa vie, Louis Bouglé semble avoir fait preuve de pudeur et de discrétion. L’utilisation du nom de Spoke pour ses activités sportives et plus tard commerciales n’était peut être pour lui qu’un moyen ludique de dissocier vie privée et vie publique.

 

Les archives de cette période étant peu nombreuses et parfois difficilement accessibles, il ne nous a pas été possible d’établir un palmarès cohérent, pour Louis Bouglé ; on retrouve néanmoins trace de lui dans de nombreuses courses se déroulant sur le vélodrome Buffalo entre 1893 et 1895. Il participe généralement à des épreuves courtes : courses de vitesse, handicap, championnat de France du kilomètre et des 5 kilomètres mais parfois également des épreuves plus longues jusqu’à 50 kilomètres et parfois même à des épreuves en triplette… Ses adversaires ont pour nom Maurice et Henri Farman, Médinger, Lautrec, Louvet, Alderton… Louis Bouglé ne sort pas du lot et il est rarement vainqueur mais c’est malgré tout un bon coureur que l’on retrouve souvent en finale des épreuves auxquelles il participe

 

 

Sa carrière est relativement brève et à partir de 1896, on le retrouve sur les bords de la piste non pas comme coureur mais comme journaliste sportif. Louis Bouglé écrit des articles dans des revues spécialisées comme le Véloce Sport de Bordeaux. Techniques et philosophie de la bicyclette sont abordés dans les papiers de L. B. Spoke.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait :

Le véloce sport de Bordeaux 7/09/1893

 

La passion demeure intacte et parfois il n’hésite pas, le temps d’une course, à remonter sur sa bicyclette montrant à tous qu’il continue superbement à entretenir sa condition physique comme en témoigne l’article ci-dessous.


Grâce à ses séjours en Angleterre, à ses relations dans les milieux de l’industrie du cycle britannique ainsi qu’à une maîtrise parfaite de la langue de Shakespeare, Louis Bouglé fut tout comme Herbert Duncan, dix ans plus tôt, (voir le coup de chapeau qui lui est consacré) un de ceux qui contribuèrent à la diffusion des innovations techniques britanniques en France. A la fin de sa brève carrière L B Spoke devint ainsi le représentant exclusif pour l’hexa gonedes chaînes de vélo de la marque "Simpson". Il s’occupe d’un commerce de cycles sur le Boulevard Haussmann à Paris. Certains pensent que c’est justement pour mieux représenter la firme anglaise, qu’il aurait alors prit le nom de L.B. Spoke et qu’il se serait habillé à l'anglaise. Cela me semble peu probable car cela signifierait que, dès 1893, date à laquelle le pseudonyme de Spoke apparaît dans les résultats sportifs, il était déjà vendeur grossiste de bicyclettes et agent général de Simpson pour la France.

 

 

 

 

 

En tant que chroniqueur et journaliste sportif, il continue à fréquenter assidûment les vélodromes et particulièrement le Buffalo à Paris alors dirigé par l'écrivain Tristan Bernard. Il aurait également été entraineur mais je n’ai pas réussi à vérifier cette information. Homme au goût sur et raffiné, passionné d’art et de littérature, L B Spoke se plait dans la compagnie des artistes qui comme lui apprécient la bicyclette. Il se lie ainsi d’amitié avec Tristan Bernard et Henri de Toulouse Lautrec, peintre dont il comprend immédiatement l’immense talent. Il nous reste de cette amitié, deux esquisses réalisées par l’artiste : "Bouglé en canotier" et "Bouglé en casquette" ainsi qu’un superbe portrait (huile sur bois), daté de 1898.

 

A l’époque, la peinture « avant gardiste » de Toulouse Lautrec est loin de faire l’unanimité et c’est grâce au soutien d’hommes comme Louis Bouglé que peu à peu, il devint un artiste reconnu.

C’est en voulant joindre l’utile à l’agréable que finalement L B Spoke va passer à la postérité. En effet, désireux de développer les ventes de chaine Simpson, il décide de passer commande d’une affiche publicitaire à son ami Henri de Toulouse Lautrec en 1896. Le peintre accepta sans difficulté car il était lui-même fasciné par le vélo, par le mouvement et la beauté du geste du véloceman en plein effort. Il est aujourd’hui possible d’admirer cette superbe affiche au musée Toulouse Lautrec à Albi, à coté des autres œuvres majeures de l’artiste.

A ce propos, Jean Durry dans « dire le cyclisme» 5ème chapitre de sa monumentale « En-Cycle-opédie » a fort bien décrypté les liens fort qui existaient entre l’artiste, Henri de Toulouse Lautrec, et la bicyclette.

« Le bonheur veut que le premier dont l'œil et l'intelligence aient capté la nouveauté du phénomène, le premier à comprendre que la mouvante bicyclette n'était pas un "un sujet indigne", ce soit l'un des plus grands, malgré ses jambes atrophiées et sa croissance arrêtée à jamais à 152cm. Son ami, un certain Paul - le futur Tristan - Bernard, qui dirigeait deux vélodromes, celui de la Seine à Levallois et le Buffalo de Neuilly, le faisait entrer à la pelouse parmi les officiels. Mais le petit homme s'écartait pour aller s'asseoir tranquille, sur le gazon : regardant les mille et une scènes pittoresques, il écoutait les cris de la foule, et derrière les lorgnons ses yeux regardaient tout aussi vifs à retenir l'essentiel que sa plume le serait à fixer hâtivement sur le papier les traits les plus marquants de ses modèles, "chipés" sans qu'ils s'en doutent.
Le premier cycliste par Toulouse-Lautrec ne fut pas un champion sportif, mais une célébrité des scènes et des cabarets : Bruant, à la gloire duquel ses affiches allaient vigoureusement contribuer. Voici en 1892 le chansonnier dessiné avec force, durant qu'il pédale en tenant ferme le guidon. Mais à partir de 1893 il s'agira du monde des courses sur ces vélodromes dont Henri est un spectateur si intéressé qu'il n'hésitera pas, trois années plus tard, à faire le voyage de Bruxelles, en compagnie de Tristan Bernard, Henri Degranges et Jules renard, pour assister à la rencontre opposant le Belge Robert Protin à son compatriote Houben."

Louis Bouglé était un sportif dans toute l’acceptation du mot. Il aimait le cyclisme mais aussi bien d’autres activités dites sportives comme la pêche à la truite, au saumon et les concours de lancer. Cet homme discret, calme, droit et dévoué selon les dires de ses proches va à partir de 1900 devenir l’un des plus fins pêcheur du vieux continent, parcourant toute l’Europe à la recherche à la recherche de nouveaux lieux de pêche. Louis Bouglé n’était pas dans le besoin mais si l’on en croit le site www.collectionpeche.com qui se réfère à un article du journal paru en 1902 dans "Le Vélo" : "Un sportsman français, qui courut comme amateur - très peu - comme professionnel - beaucoup, non par intérêt, mais par passion sportive - sous un pseudonyme anglais, a fait sa fortune au jeu. Le coureur gentleman avait, il y a deux ans, gagné un million aux cartes. Depuis, le magot a dû grossir, à moins que... A moins que, réalisant son rêve, il ne se soit retiré à la campagne, au bord de quelques cours d'eau bien poissonneux. Car le rêve de ce joueur effréné - au calme jupitérien - était de gagner un million pour se retirer aux champs et y satisfaire sa passion de la pêche!"

 

 

Mais Louis Bouglé malgré son aisance financière ne s’est pas contenté de vivre sa passion pour la pêche en remportant de nombreux concours. Il a comme pour la bicyclette apporté modestement sa pierre à l’édifice. Lié par contrat avec l’entreprise britannique Hardy, spécialisée dans le matériel de pêche, il dessina en 1903, un moulinet pour la pêche à la mouche qui porta son nom et qui fût commercialisé jusqu’en 1939. C’est lui également qui introduisit en France la pêche au lancer à la manière américaine, avec la canne à une main et le moulinet multiplicateur.

Bouglé était aussi un homme de devoir ainsi en 1914, alors qu’il a déjà 50 ans il n’hésita pas à s’engager dans l’armée française pour défendre son pays. Certains pensent d’ailleurs qu’il usa prématurément ses dernières forces dans ce volontariat et qu’il ne s’en remit jamais totalement jusqu’à son décès qui intervint dix ans plus tard en 1924.

Homme discret et cultivé, Louis Bouglé, alias L. B. Spoke a, sa vie durant, toujours fait avec passion les choses qui lui tenaient à cœur. Cycliste, journaliste sportif, marchand de cycles, pécheur sportif, inventeur, il a toujours su mettre sa grand culture et son goût sans faille pour l’art au service de ses activités. Il est probablement le premier à avoir joué ce rôle de passeur entre le petit monde de la bicyclette et des artistes de renom

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