Le Petit Braquet
 
- Chronique n° 36 - Guillermo Timoner
 
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Coup de chapeau à

Guillermo Timoner

 

Guillermo Timoner

 

 

 

 

 

La première image qui vient à l’esprit de chacun à l’évocation du mot cyclisme c’est bien évidement les courses sur route et plus particulièrement le Tour de France et Paris Roubaix. Elevées au rang de mythe, ces épreuves reflètent finalement très mal la réalité multiple du sport cycliste. Grâce à leurs exploits sur la scène internationale, Julien Absalon et Anne Caroline Chausson ont porté, sur le devant de la scène le VTT et le BMX mais d’autres disciplines plus confidentielles mais tout aussi exigeantes existent avec leur cercle de passionnés et de grands champions. En évoquant lors de cette 35ème chronique la carrière de Guillermo Timoner, nous vous proposons de découvrir le demi-fond qui traine derrière lui une fâcheuse réputation et que l’on pourrait qualifier de mal aimé des épreuves sur piste.

Guillermo Timoner est né le 24 mars 1926 dans la localité de Felanitx, sur l’île de Majorque à environ 50 km au sud-est de Palma. Felanitx, petite ville charmante de 9570 habitants, dans une zone montagneuse qui domine la mer, se situe dans une terre de cyclisme. Contrairement à beaucoup de petites îles où la pratique du vélo est peu facile et les compétitions rares, les Baléares ont toujours connu une activité importante en étant grâce à la clémence de leur climat, un lieu propice à l’entraînement hivernal des professionnels espagnols. Le Trophée de Majorque qui existe depuis 1932 (malgré quelques interruptions) témoigne de la tradition cycliste de l’archipel.

Guillermo Timoner, comme beaucoup d’autres jeunes majorquins s’est très vite intéressé au vélo mais c’est sur la piste et non pas sur la route qu’il a trouvé sa voie. Le jeune Guillermo se destinait au métier de charpentier avant d’être emporté par une passion dévorante pour la petite reine. La vie des champions est bien souvent réécrite à postériori afin de magnifier le coureur et en faire plus qu’un simple champion, un héros superbe qui pour arriver au sommet de sa gloire a du vaincre de multiples épreuves. Alors si l’on en croît ce qui est écrit sur « la vie et l’œuvre » de Guillermo Timoner, il a effectué ses premières compétitions sur un vélo que lui avait acheté son père pour la coquette somme de 510 pesetas et il aurait même triché sur son âge afin de pouvoir y participer. Doté d’une bonne pointe de vitesse, il devient à 17 ans, champion des Baléares de vitesse. Visiblement le jeune Guillermo est dès cette époque, fasciné par les courses de stayers et dès qu’il le peut il choisit de courir également dans cette discipline pourtant fort différente de la vitesse. Le demi-fond regroupe les courses de distance moyenne. Ces compétitions longues de 30 à 100 kilomètres (ou parfois une heure) effectuées derrière une moto sont regroupées dans le demi fond en opposition aux épreuves de fond quasi surhumaines qui se sont développées à la toute fin du 19ème siècle. Le Bol d’Or qui se déroulait sur 24 heures et les premiers 6 jours qui se couraient à leur début en individuel sont les exemples de cette démesure qui a frappé la piste dans cette période Les coureurs de demi-fond sont également appelés "stayers" selon le terme anglais.

Dans un pays pauvre et en reconstruction après une terrible guerre civile, Guillermo s’entraîne quotidiennement sur des routes sans asphaltes, pleines d’ornières et de boue. Le jeune Guillermo place sa foi au centre de sa vie et il le dit sans ambages « je suis catholique et sportif ». Il se fait très rapidement remarqué par sa pointe de vitesse et c’est sur piste dans les épreuves de vitesse qu’il est le plus à l’aise. Pourtant durant les premières années de sa carrière, il prend aussi régulièrement part à des épreuves sur route comme en témoigne son titre de champion d’Espagne militaire en 1948. Son terrain de prédilection demeure la piste où il accumule les courses en s’alignant sur des épreuves de vitesse, de poursuite, d’américaine et de demi-fond. En 1945, dans une Europe où chaque Etat panse ses plaies innombrables, l’Espagne bien que restée en dehors de la deuxième guerre mondiale n’a pas une situation économique plus florissante que les autres. Le pays est très pauvre et les traces de la guerre civile sont encore bien visibles pourtant la 5ème édition de la Vuelta qui se déroule du 10 au 31 mai suscite l’engouement du public et ce malgré l’absence de coureurs étrangers en dehors de quelques Portugais. Si Delio Rodriguez est la grande vedette de l’épreuve en remportant le classement par points, six étapes et le Général avec plus de 30 minutes d’avance sur le second, Guillermo Timoner devient de son coté, en quelques mois, le jeune espoir de la piste espagnole. Il a en effet enlevé coup sur coup le Championnat des Baléares de Vitesse ainsi que celui de Poursuite avant de remporter le titre de champion d’Espagne de demi-fond et celui du derrière motos. Dès lors sa carrière est lancée et il va pendant de longues années être le roi incontesté des pistards espagnols accumulant 33 titres nationaux entre 1945 et 1963. Il sera sacré à quatre reprises en vitesse, la discipline reine de la piste et il continuera toujours à disputer quelques épreuves sur route pour affiner sa forme mais aussi parce que les épreuves de demi-fond sont rares. Sa carrière sur route comporte des victoires d’étapes au Tour de Majorque en 47 et 48 et des places d’honneur au Trophée Masferrer 53 et au Tour du Levant 58 mais sa préférence ira toujours au demi fond. Ce qui plait à Guillermo Timoner c’est de rouler derrière derny ou derrière moto et d’avaler ainsi les kilomètres à grande vitesse la roue avant toujours collée à quelques centimètres du rouleau de sécurité. C’est tout un art de rouler ainsi. Le moindre écart, la moindre faute d’inattention, et c’est la chute ou un gros effort inutile pour reprendre la bonne aspiration. Afin d’atteindre des rythmes élevés les vélos utilisés pour les épreuves derrière moto sont très particulier. Ils possèdent une roue avant plus petite, une fourche rentrée pour ne pas dire retournée pour bénéficier au maximum de l’aspiration de la moto et un énorme développement. (voir photo).

 

 

 

 

Dans sa passion dévorante et jamais démenti, il va entraîner son jeune frère de trois ans son cadet, Antonio. Celui-ci un peu moins doué réussira malgré tout une carrière honorable en étant notamment vice champion d’Espagne de vitesse en 1950 et 1956 et en montant à quatre reprises sur le podium du championnat de demi fond.

Dans son ensemble pourtant la piste espagnole ne pèse aucun poids sur la scène internationale mais c’est finalement dans l’ordre des choses dans un pays réputé pour son soleil et où l’on apprécie d’abord les escaladeurs, ces silhouettes longilignes qui s’envolent dès que la route s’élève et qui enfin gagnent des courses à l’étranger. Fédérico Bahamontes de deux ans le cadet de Timoner, sera à partir de 1954, le fier héros de l’Espagne cycliste. A sa manière Guillermo Timoner va lui aussi devenir une icône nationale. Avant lui, aucun espagnol n’est jamais monté sur un podium mondial dans une épreuve sur piste et les six titres de champion du monde de demi fond qu’il va décrocher entre 1955 et 1965 vont faire de lui un grand d’Espagne. Il recevra d’ailleurs à trois reprises le trophée de la Fédération Espagnole de Cyclisme signe de l’importance que l’on accorde à ses couronnes mondiales.

1955 : Guillermo Timoner vient de remporter son premier championnat du monde

Etre une personnalité connue sous une dictature expose forcément la vedette à l’utilisation de son image par le pouvoir directement ou indirectement à des fins de propagande. S’y opposer peut coûter très cher comme le montre la dramatique histoire d’Albert Richter (voir chronique du mois dernier). Autres lieux, autres mœurs, Guillermo Timoner n’a pas connu ce genre de problème. A l’occasion de son premier sacre mondial en 1955, il fut reçu par Franco dans son palais du Pardo. Cette réception montre bien l'importance qu’il y avait pour un régime autoritaire, dictatorial et refermé sur lui-même, de s’approprier les succès sur la scène internationale d’un homme dont les convictions religieuses étaient en accord avec l’idéologie ambiante. Il parle aujourd’hui de ses visites au Pardo à partager "les souvenirs de Majorque" avec Francisco Franco sans aucun état d’âme : «  Franco m'a appelé cinq fois au Pardo ».
Il faut croire que malgré la sympathie dont il jouissait dans les hautes sphères du pouvoir, Guillermo Timoner a toujours su garder une certaine distance ce qui lui a évité des compromissions trop flagrantes. Aujourd’hui ses compatriotes ne semblent pas lui en tenir rigueur et bien au contraire ils apprécient le champion et derrière lui l’homme qui leur a fait aimer la piste et qui a ainsi attiré sur les anneaux d’excellents coureurs qui ont porté haut les couleurs nationales.

La longévité de Timoner a fait que ce n’est pas la génération suivante mais celle de ses petits enfants qui est arrivée sur le devant de la scène internationale. Il s’agit entre autres de Sergi Escobar, champion du monde de poursuite en 2004, de José Villanueva et de José Escuredo vices champions du monde de keirin en 2004 pour le premier et en 2006 pour le second. Mais son véritable successeur dans le cœur de ses compatriotes est sans nul doute Juan Llaneras un autre majorquin qui avec six titres mondiaux et deux titres olympiques (course aux points et américaine) est aujourd’hui le pistard espagnol le plus titré. Juan Llaneras dans une interview en avril 2006 évoque ce qui la poussé vers la piste plutôt que vers la route : « En Espagne, contrairement à ce que l’on peut croire, il y a toujours eu une tradition du cyclisme sur piste. À Majorque, sur mon île, Il y avait des vélodromes. C’est là où vivait Guillermo Timoner, le sextuple champion du monde de demi-fond ».

L’autre grand disciple de Timoner fut probablement le regretté Isaac Gálvez, champion du monde de l'américaine en 1999 et en 2006 associé à Juan Llaneras. Timoner se dit d’ailleurs très peiné par la disparition de Galvez en 2006 : «Quelle tragédie! Il était un grand cycliste. Ce risque doit être assumé. Je me souviens que j'ai été blessé gravement à la tête à deux reprises. Une fois dans la Plaza de Toros de Las Arenas à Barcelone puis à Madrid en 1960. J'ai été près d'un an sans pouvoir courir. "

En effet, victime d’une très grave chute Barcelone, Guillermo Timoner demeura plusieurs jours dans le coma. Une fois rétablit, fidèle à ses convictions pieuses, il se rendit au monastère de la Moreneta de Monserrat dans la montagne pour y déposer parmi les ex votos dédiés à la vierge noire, une de ses médailles de champion du monde.

Alors que les disciplines de demi fond ont quasiment disparu, les derniers championnats du monde datent de 1994 et que aucun pistard espagnol n’a jamais, après lui, brillé dans cette discipline, son aura demeure aujourd’hui encore intacte en Espagne. Ce qui a rajouté au mythe de Timoner, c’est son retour à la compétition en 1984, à l’âge de 58 ans. Guillermo Timoner décrocha un nouveau titre de champion d’Espagne et dans la foulée son billet pour les championnats du monde. Certes notre homme est talentueux et il possède une hygiène de vie irréprochable mais il faut d’abord voir dans ce succès obtenu à près de 60 ans, le signe de la faiblesse du niveau du demi fond qui était déjà doucement en train de s’éteindre.

L’accumulation des victoires de Timoner reflète certes la valeur d’un homme qui a tout sacrifié pour réussir sa passion mais hélas elle stigmatise aussi le manque de renouvellement des élites et l’anémie progressive d’une discipline qui ne recrute plus de coureurs de talent. Le rythme rapide mais monotone de la course, la faiblesse de nombres des protagonistes et le déroulement parfois douteux d’épreuves où les entraîneurs jouaient leur propre partition ont finit par lasser les foules et décourager les meilleurs. C’est bien dommage car le spectacle très prisé aux Pays Bas et en Allemagne pouvait être grandiose.

Le légendaire cycliste majorquin Guillermo Timoner, a été proclamé champion d'Espagne derrière moto, à l’âge de 58 ans, avec l'aide de son partenaire, le pilote Antonio Cerdá. Champion du monde à 6 reprises mais aussi grand-père, né à Felanitx, il a endossé son vingt-sixième maillot de champion national, qui lui a été remis par le président de la Fédération de Cyclisme Baléares, Juan Serra, "avec beaucoup d'admiration et de respect." Dans la nuit du samedi, au Vélodrome Algaida, sa petite-fille Silvia Picornell Timoner, agée de  trois ans, était dans ses bras au moment du podium. Le sélectionneur national, Carlos Perez, a assisté à la course et il devrait convoquer Guillermo Timoner pour le prochain championnat du monde de cyclisme sur piste, qui se tiendra à Barcelone, à la fin du mois. Durant la course Timoner a rapidement pris l’avantage sur l’équipe Herranz-Mora, qui a abandonné après avoir été doublé deux fois par le champion. Il y a maintenant 39 ans (1945) que celui ci a remporté son premier titre national à Tortosa (Tarragone).

Source El Païs 1984 traduction de l’auteur

Lors des mondiaux de 1984, Timoner sera éliminé durant les séries. Cette fin d’histoire paraîtra peut être pathétique à certains d’entre vous, pourtant au-delà du coup de pub et des gains engendrés par ce come back qui lui permirent de se sortir d’une situation financière difficile, cela correspond d’abord à la passion folle qui l’anime depuis soixante ans et qui l’accompagnera jusqu’au bout. Car une chose est sure, Guillermo Timoner ne décrochera jamais. En avril 2007, à l’occasion des mondiaux sur piste qui se sont déroulés à Palma de Majorque, il a décidé de faire une exhibition et de courir 100 kilomètres sur la piste afin de récolter des dons pour des associations caritatives. Quelques jours avant il déclarait à la presse : « Je suis tout à fait capable de le faire à plein régime. J'espère que l'examen du Dr Teo Cabanes sera favorable. Je suis sur que ce sera une grande fête."

Il ajouta qu’il roulait régulièrement sur rouleaux tout en regardant la télé et qu’il avait fait également plus de 4000 kilomètres sur route.

« J’ai passé la plus grande partie de ma vie sur le vélo » ajoute t il. « Le vélo est ma passion. ». Tout est dit.

L’Espagne qui n’a jamais été une des grandes nations de la piste honore aujourd’hui Timoner comme un de ses plus grands champions cyclistes, un journaliste, à l’aise dans la démesure, est même allé jusqu’à écrire que Guillermo Timoner était « le Picasso de la bicyclette ». Sans être aussi dithyrambique on ne peut qu’être impressionné par la volonté de Guillermo Timoner. Il a construit sa vie sur une passion, un idéal et rien ne l’en a jamais détourné. Il a assisté, impuissant à la disparition progressive de la discipline qui l’avait fait roi et ce fut probablement douloureux pour lui pourtant il a continué inlassablement à œuvrer pour qu’elle survive et que d’autres reprennent le flambeau. Alors chapeau Monsieur Timoner, chapeau pour votre carrière, et pour avoir communiqué votre amour de la piste à vos compatriotes.

 

 

 

 

 

Lauréat du Trophée de la Fédération espagnole de cyclisme: 1956, 1960, 1962

Champion du monde de demi-fond: 1955, 1959, 1960, 1962, 1964, 1965 (2e: 1956, 1958)
Champion d'Espagne de demi-fond: 1945, 1946, 1947, 1948, 1950, 1952, 1954, 1955, 1956, 1959, 1961, 1962, 1963, 1984 (2e: 1964)
Champion d'Espagne derrière moto: 1945, 1946, 1947, 1949
Champion d'Espagne de vitesse: 1947, 1948, 1950, 1956 (2e: 1946, 1949, 1951)
Champion d'Espagne de poursuite: 1949, 1951, 1956 (2e: 1950, 1952)
Champion d'Espagne à l'américaine: 1951, 1952, 1954
Champion d'Espagne militaires sur route: 1948
Champion des Baléares de vitesse: 1945, 1947
Champion des Baléares de poursuite: 1945
Champion des Baléares de demi-fond: 1947
Prix d'Ases: 1957
2e du championnat d'Europe de demi-fond: 1958 1959, 1963,
3ème 1962 1965

Dans la cour intérieure du monastère de San Salvador qui date de 1348 il est possible de voir l’ensemble des maillots de champion du monde Guillermo Timoner encadrés et facilement identifiables avec l'année de leur victoire. Il ena fait don au sanctuaire. Une véritable exposition permanente qui rappelle la grande dévotion pour la Vierge de Timoner :

 

 

 

 

 

"Ma foi en vous est la cause de mon triple de champion du monde. Loin de vous, mère divine, lorsque loin de ma patrie, mes jambes pédalaient avides de triomphe, la même prière sortait de mon coeur, celle que mes lèvres désséchées, souvent abreuvées de larmes d'émotion, murmuraient tout bas. Je demandais votre diviine protection qui ne m'a jamais manqué.

Veuillez donc agréer, Sainte Vierge de Sasn Salvador ce maillot, symbole, comme fervent homage de votre humble ... Guillermo Timoner ».

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

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