Le Petit Braquet
 
- Chronique n° 28 - James Moore
 
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James Moore

Coup de chapeau à

 

James MOORE

 

La rivalité entre Français et Anglais dure depuis tellement longtemps que presque tous le monde aujourd’hui en a oublié les raisons mais comme toutes les traditions elle demeure vivace prête à ressurgir quand les circonstances lui en fournissent l’occasion. Si aujourd’hui les rapports entre nos deux pays sont tout à fait cordiaux, dans le sport il reste toujours une volonté forte de part et d’autre de dominer cet adversaire afin d’affirmer une certaine suprématie sur l’Europe, comme au temps où ces deux nations dominaient le monde.

L’histoire du cyclisme contrairement à ce que l’on pourrait penser n’échappe pas à cet antagonisme. Ainsi les Anglais pensent avoir inventer les premiers la pédale avec Kirkpatrick Mac Millan ce que les Français, probablement à juste titre, contestent en évoquant les noms d’Ernest Michaux et de Pierre Lallement (voir coup de chapeau consacré à ces inventeurs). Les Français sont également très fiers d’avoir organisé la première épreuve cycliste du monde ainsi que la première course en ligne reliant une ville à une autre. Cela ne suffit pas à démolir le flegme britannique car justement ces deux épreuves ont été brillamment remportées par un de leur compatriote : James Moore. Evoquer la carrière de James Moore, le plus français des anglais, ce n’est pas évoquer ces querelles de clocher mais c’est se replonger aux origines des courses cyclistes auxquelles son nom demeure à jamais associé.

Il est à peu près certain aujourd’hui que la première véritable course cycliste eut lieu dans le Parc de Saint Cloud, le 31 mai 1868. Organisée par la « Compagnie Parisienne » de bicycles des Frères Olivier, cette épreuve se déroula sur 1200 mètres à l’intérieur du Parc. Le départ fut donné devant les fontaines et le circuit en forme de boucle emmena les vélocipédistes à l’entrée avant de revenir aux fontaines. James Moore remporta l’épreuve en réalisant le temps de 3 minutes 50 secondes. Il devança Drouet et Polocini (ou Polini selon d’autres sources).

 

Immédiatement c’est le succès et de nombreuses épreuves surgissent d’abord en région Parisienne puis un peu partout sur le territoire français : Charenton, Enghin, La Varenne, Pantin, Cognac. Ces épreuves sont disputées sur des bicycles aux roues de bois d’une hauteur d’à peine un mètre mais extrêmement lourds car ils atteignent fréquemment les 30 kilos. Ces réunions comportent diverses épreuves dont certaines nous paraissent aujourd’hui bien surprenantes : courses de vitesse avec ou sans handicap, course de lenteur, course d’obstacles, course d’adresse et course de dames.

 

 

 

Rien ne prédestinait James Moore, que l’on surnomma l’anglais de Maison Lafitte à devenir un champion cycliste. Il était né en 1849 à Bury Saint Edmonds dans le Suffolk mais son père, vétérinaire de son état était venu s’établir en France en 1853. Le jeune James qui deviendra plus tard vétérinaire lui aussi, se lia d’amitié avec Ernest Michaux le fils de Pierre l’inventeur de la pédale (voir coup de chapeau à Michaud et Lallement). Par ses liens avec Ernest Michaux, James fut donc un des témoins de cette invention fondamentale et il fut aussi un des premiers à essayer la draisienne ainsi modernisée.

En 1868 le cyclisme en est encore qu’à ses balbutiements. Les techniques d’entraînement, la diététique ne sont pas encore entrées dans le sport pourtant un champion va naître. James est un mordu de bicycle et en plus il est très doué. Il possède des qualités physiques indéniables qui vont faire de lui un champion redouté. Durant l’année 1869 c’est lui qui s’impose le plus souvent dans les courses disputées en région Parisienne. Ses principaux adversaires sont André Castéra, Ernest Michaux, Moret et Tribout. Imbattable ou pour le moins trop difficile à battre voilà comment André Castera et Moret considèrent Moore à l’époque à tel point qu’ils font le choix tous les deux d’aller glaner des bouquets en province afin d’éviter de se confronter au redoutable britannique. Moret s’impose ainsi à Carpentras et à Angers tandis que André Castéra glane plus d’une quinzaine de victoires dans tout l’hexagone : Rouen, Chartres, Bourg, Lille, Avignon, Calais, Bourges… De son coté, James Moore semble s’être imposé à seulement cinq reprises dont une fois à Cognac preuve que lui aussi sait voyager.
Les épreuves de l’époque sont courtes voir très courtes. Parmi les courses qui se sont déroulées durant les dix premiers mois de l’année 1869, la distance est toujours comprise entre 800 mètres et 4 kilomètres hormis la course de Neubourg remportée par James Moore qui atteint elle la distance phénoménale de 8 kilomètres…

Rapidement des courses reliant des communes proches sont organisées et, Richard Lesclide, un personnage fascinant qui vient de publier « le manuel du vélocipède » et de fonder en août 1869 son journal "Le Vélocipède illustré" décide de créer une course de fond : Paris Rouen. Richard Lesclide, dit aussi le Grand Jacques, ou encore Gabriel Richard, né à Bordeaux en 1825 et mort à Paris le 15 mai 1892, était d’abord un écrivain, éditeur, auteur dramatique et journaliste français. Romancier érotique il fut aussi le secrétaire de Victor Hugo. Dans le numéro du 20 octobre il publie le règlement détaillé de la course. A l’ère des pédales automatiques et des oreillettes c’est un autre monde que ce texte nous fait découvrir.

« La marche à pied auprès du véloce est admise, mais le coureur devra seul conduire et remorquer son instrument. Toute aide étrangère, tout emploi d’un moteur autre que la force humaine entraîne l’exclusion du concours. Il n’est pas permis d’emmener des chiens avec soi. »

Le 30 octobre le Vélocipède Illustré publia une liste de 198 engagés dont 5 femmes prêts à en découdre tout au long des 123 kilomètres de l’épreuve. En fait le 7 novembre au petit matin il y eu un peu moins d’une centaine de les courageux à s’élancer. L’organisation dépassée par l’évènement ce fut bien vite une jolie pagaille tant et si bien que finalement il y eut deux départs un à 7 heures 15, l’autre à 7 h 45.  A Epône au premier contrôle secret, 80 bicyclistes, deux tricyclistes et un quadricycliste furent comptabilisés. A Mantes, kilomètre 48, c’est Henri Pascaud, suivi de l’anglais Johnson qui passe vers 11 h 30. Ils sont suivis un quart d’heure plus tard par Bobillier de Voiron et quelques autres coureurs dont Moore et Castera, qui partit dans le second groupe ont déjà refait leur retard. A Vaudreuil, kilomètre 98, après 8 h 30 d’effort, James Moore passe seul suivi peu après de André Castera puis de Bobillier qui pointe en troisième position. A la tombée de nuit, Pascaud arrive seul et sans éclairage en 4ème position. Le 5ème n’arrive que vers 18 heures, il s’agit du britannique Johnson. Mort de faim, fourbu il s’évanouit. La nuit est noire et froide et les abandons se multiplient. James Moore lui ne semble pas souffrir de ces conditions difficiles et il arrive en grand vainqueur dans les rues de Rouen en ayant parcouru les 123 kilomètres du parcours en 10 heures et 25 minutes. Autour du café servant de contrôle d’arrivée la foule est importante et les membres du Véloce Club de Rouen ainsi que la Police ont du mal à contenir les spectateurs qui veulent voir l’homme et sa machine. Un quart d’heure plus tard Castera et Bobillier franchissent la ligne d’arrivée. Ils demandent aux commissaires de les classer ex aequo. Pascaud arrive 4ème quant à Johnsson finalement repartit il termine 7ème. 33 concurrents dont une femme « Miss América » boucleront le parcours en moins de 24 heures et seront finalement classés.

Quelques jours plus tard eut lieu une remise solennelle des prix. James Moore reçu la coquette somme de 1000 francs tandis que le second obtint un vélocipède et le troisième une médaille en or. Il est difficile de faire une conversion précise des francs de l’époque en euros mais il est certain que la somme empochée par James Moore est importante et l’on peut raisonnablement penser que cela représenterait en 2008 autour de 3000 €uros.

Jean-Eugène-André Castera et James Moore (à droite) au soir du fameux Paris Rouen, le 7. Nov. 1869

Novembre 1869 est vraiment un mois important dans l’histoire du vélo car du 1er au 5, juste avant la course Paris Rouen s’est tenu à Paris le premier salon du cycle au Pré Catelan. Les inventions foisonnent, et les constructeurs brillent par leurs inventivités. On y voit apparaître la fameuse machine de Meyer et Guilmet (voir coup de chapeau…), les premiers gardes boue, les roulements à bille et même un ancêtre de la roue libre. Dans ce petit monde en pleine ébullition tout contribue à faire de James Moore une vedette et notre homme n’est pas le coureur d’une seule course au contraire il va s’employer avec succès à tenir son rang. Si l’on en croît les spécialistes de cette période James va remporter de nombreuses victoires jusqu’à sa retraite sportive en 1877. Ainsi en 1870 il gagne 5 courses dont le championnat de Paris et deux épreuves sur la première piste française construite au Vésinet. Au moment où la guerre éclate James Moore se voit bien prophète en son pays et en juillet il traverse la Manche pour disputer le championnat d’Angleterre. Meilleur temps des séries il joue de malchance et est victime d’une chute lors de la finale. Il rentre en France où il a toutes ses attaches mais c’est désormais en Angleterre que le vélocipède évolue. La guerre avec la Prusse qui s’acheva le 28 janvier 1871 laisse l’industrie française exsangue et c’est du coté de Coventry que l’on imagine et que l’on produit maintenant les machines pour le monde entier. Nous sommes au début de ce qui allait devenir le grand bi. Rappelons ici que les machines de l’époque ne comportaient pas de pédalier et que les pédales étant montées directement sur l’axe de la roue avant, le seul moyen de gagner en vitesse était d’augmenter la taille de la roue avant. Très vite ce fut l’envolée : 90 cm puis 1 mètre, 1 mètre 10 et déjà 1 mètre 15 en 1872. Dans le même temps la technologie progresse et le poids des machines diminue passant de 30 à 22 kilos. Les roues en bois sont remplacées par des roues dont les rayons sont en fil de fer montés en tension. Qu’importe James Moore s’adapte et il continue de gagner des courses. En 1871 alors qu’en France les courses se raréfient, il retourne en Angleterre et cette fois ci, il s’impose devant les meilleurs de ses compatriotes à Birmingham et à Manchester. Si la situation de la France qui doit payer une très lourde dette à la Prusse est catastrophique les villes à villes se développent doucement en 1871 avec Dijon Besançon (95 km) et Florence Pistoia (33 km).

En 1872 et en 1873 la crise est plus profonde encore, les courses se font rares et plus grave encore le nombre de vélocipédistes recensés est en très forte baisse. On pense que le nombre de passionnés affiliés, descend en dessous des 300 pour l’ensemble du territoire français. Parmi ces quelques mordus, ces irréductibles, le champion du moment a pour nom Viennet. Lyonnais d’origine, il écume les courses de la région, remportant en 1873 l’épreuve Lyon – Chalon sur Saône et retour soit 272 km qu’il avale sous une pluie battante en 19 heures. Mais James Moore est toujours là. Lors d’une importante réunion à Lyon, il termine second derrière le britannique Keen mais surtout il devance le gratin du peloton français : Viennet, Charles Thuillet, Rousseau… Sur ce point les sources divergent car James est parfois donné comme vainqueur du Championnat International de Lyon de 1873, qui semble être la même course. En tout cas notre champion n’est pas fini et il continue de s’adapter avec succès à l’évolution de ce qu’il faut désormais appeler le grand bi. En 1874, en Angleterre les machines ont une roue avant qui atteint maintenant 1 mètre 30 voir 1 mètre 40. La roue arrière qui représentait au début les 4/5ème de la roue avant n’a plus qu’un diamètre proche des 2/5ème. La selle est de plus en plus proche du guidon, quasiment à l’aplomb de l’axe de la roue avant. Les roues en fer plein sont cerclées de caoutchouc. La vitesse progresse grâce à l’augmentation du diamètre de la roue mais dans le même temps le confort et la sécurité diminuent. Le pilote est placé de plus en plus haut et la stabilité des machines s’en ressent bien évidemment.
En 1874, les courses sont encore rares et James repart une nouvelle fois en Angleterre où il remporte le championnat mondial de Birmingham au nez et à la barbe des meilleurs britanniques dont Keen. Il ne s’agit pas encore d’un véritable championnat du Monde mais tout doucement l’idée de réunir les meilleurs de chaque nation fait son chemin dans les esprits.

En 1875, on organise aux Tuileries le premier championnat de France. James Moore le plus français des britanniques est au départ et il l’emporte devant Camille Thuillet et Henry Pascaud écrivant ainsi une dernière belle page à son palmarès. James Moore n’a que 26 ans à l’époque mais il est sur la brèche depuis 8 ans et il voit arriver en face de lui une nouvelle génération et surtout un jeune champion plein de fougue et d’audace qui va tout bousculer sur son passage : Charles Terront. Apparemment absent des palmarès de l’année 1876, James Moore revient sur le devant de la scène en 1877 à Toulouse où il s’impose à deux reprises devant  Terront le nouveau champion incontesté du vélocipède aussi bien sur les courtes que les longues distances. (Voir coup de chapeau à Charles Terront). Finir sa carrière en battant le meilleur, c’est bien la plus belle des conclusions.

 

Difficile de garder l’équilibre aussi haut perché, semble penser James Moore

A 28 ans James Moore décida définitivement de tourner la page. Fatigue, lassitude, difficulté à s’adapter à des machines qui devenaient de plus en plus monstrueuses (certains bis eurent une roue avant qui atteignit les 3 mètres…). Nul ne sait. Peut être tout simplement que cela ne l’amusait plus.

Il s’installa comme vétérinaire en région Parisienne et mena une existence paisible avant de se retirer dans sa ville natale où il mourut en 1939 à l’age de 90 ans.

James Moore méritait bien un coup de chapeau. D’abord parce qu’il fut le premier à inscrire son nom au palmarès du cyclisme mondial mais aussi parce qu’il fut un authentique champion capable de s’imposer sur de courtes comme sur de longues distances et sur des machines en constante évolution. Chapeau Monsieur Moore.

 

Bibliographie :

 

Histoire du Cyclisme de Jean-Paul Ollivier

Dans un ouvrage de 360 pages, grand format et bourré d’illustrations photographiques, Jean-Paul Ollivier retrace l’histoire de la petite reine. Des premiers exploits du dénommé James Moore aux premiers Tours de France victorieux de Lance Armstrong, en passant par les époques des Campionissimo ou de Merckx, JPO aborde l’essentiel des thèmes, des sujets et des performances qui ont fait notre sport. Dans un style fluide, agréable à lire, simple et abordable, l’auteur nous fait plonger dans le passé, au commencement avant de nous faire remonter progressivement le temps. L’ouvrage est assez synthétique, passe en revue la grande majorité des événements d’importance. Sans être d’une grande difficulté technique, ce livre est donc excellent pour une première initiation à l’histoire du cyclisme. Il permet d’avoir une bonne vue globale de plus d’un siècle d’exploits avant de passer à une lecture plus détaillée, technique et approfondie. Livre instructif, il ne traite que très partiellement du sujet de dopage, les amateurs de scoop et scandale seront déçus. Le prix initial de 60 € est élevé, mais il est facile de dénicher ce livre pour deux fois moins cher. (source : http://legenducyclisme.wordpress.com)

 

 

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