Le Petit Braquet
 
- Chronique n° 17 - Les Grands Inventeurs
 
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Les Grands Inventeurs

 

Coup de chapeau à

Les GRANDS INVENTEURS !

« Le bon grain et l’ivraie »
Meyer, Guilmet et quelques autres…

 

Les bicyclistes
Sont des artistes
Trempés du tendon
Cambrés sur le guidon
Courbant l'échine
Sur leur machine,
Les voila qui filent dessus
Voila qu'on ne les voit plus guère
Les voila là-bas qui filent dessus
On ne les voit déjà plus.

Aristide Bruant (écrivain)

 

L’histoire du cyclisme est finalement semblable toutes les autres histoires, on y trouve des inventeurs géniaux parfois injustement méconnus et des impostures qui souvent perdurent bien longtemps après que la supercherie ait été découverte.

Pour devenir un inventeur connu et entrer dans l’histoire par la grande porte il faut du talent bien sur mais aussi beaucoup de chance. Etre trop en avance sur son temps ne sert à rien, votre invention passe inaperçu et votre nom tombe dans les oubliettes. C’est le cas des deux inventeurs dont je vais tenter de vous parler ce mois ci. Avant d’en venir à eux nous allons tout d’abord tordre le coup à quelques impostures que de pseudos découvreurs en manque de reconnaissance ont rajouté çà et là dans l’espoir heureusement souvent vain de passer à la postérité. Il n’est pas dans mon propos de retracer ici l’histoire de la bicyclette, d’autres l’ont fait beaucoup mieux que je ne saurai le faire, néanmoins voici quelques exemples de ces fausses découvertes.

L’origine de la bicyclette remonte, nous en sommes sûrs aujourd’hui, au Baron Von Drais qui en 1817 a inventé la Draisienne (hobby horse en anglais). Pas de pédale mais simplement deux roues en ligne, un système de direction, une assise, les impulsions des pieds sur le sol permettant comme pour une trottinette de faire avancer l’engin.

 

 

 

Dans le souci de remonter toujours plus loin, des petits malins ont cherché à attribuer la paternité de la bicyclette à Léonardo Da Vinci. On ne prête qu’aux riches et une invention de plus ou de moins pour le grand Léonardo ne change pas grand-chose à sa renommée. On sait que le dessin ci-dessous qui a longtemps été attribué à Giacomo Caprotti, élève de Léonardo Da Vinci ne date pas de 1493 mais qu’il s’agit d’un faux probablement de la fin du 19ème ou du début du 20ème  siècle.

 

 

De même le vitrail ci-contre, daté de 1643, qui se trouve dans l’église de Stoke Poges en Angleterre ne peut pas être considéré, cela est pourtant toujours le cas pour certains, comme l’ancêtre du Hobbyhorse et donc de la bicyclette. Il ne s’agit en fait que d’un chérubin monté sur une roue comme on en retrouve assez régulièrement dans l’imagerie médiévale.

 

 

Soyons sérieux, il ne suffit pas d’un personnage sur une roue pour en faire un ancêtre de la bicyclette cela n’aurait aucun sens. Une roue ne fait pas une bicyclette. Il est bon de rappeler ici que l’on considère aujourd’hui que la roue a été inventée par les Sumériens, environ 3500 ans avant Jésus Christ…

L’idée géniale de Von Drais a été d’imaginer de positionner deux roues en ligne et de laisser au conducteur le soin d’apprivoiser l’équilibre de l’engin, autorisant ainsi une maniabilité extraordinaire.

En 1891 le français Baudry de Saunier publie son Histoire générale de la vélocipédie. Ce journaliste parisien passionné de vélo est un des premiers à tenter de retracer les origines du nouvel engin. Le début du siècle et ses draisiennes sont déjà loin et dans un contexte politique marqué par un vif antagonisme entre la France et l’Allemagne, Baudry de Saunier, soit par patriotisme, soit par envie de passer à la postérité invente un ancêtre à la draisienne. Il prétend donc que le premier à avoir imaginé l’ancêtre de la bicyclette est un français : Monsieur De Sivrac. Son invention, le " célérifère ", daterait de 1791 et selon Baudry de Saunier cette draisienne avant l’heure aurait suscité un vif intérêt sous le Directoire bien qu’il fût impossible de lui faire changer de direction. En effet selon notre affabulateur, ce modèle était composé d’une poutre centrale reliant les deux roues et faisant strictement corps avec elles. Le seul mérite du baron allemand Karl Friedrich Von Drais aurait été, en 1817, de permettre à l’engin de tourner mais c’est le génie français qui avait parlé en premier ! En cette période de tension forte entre les deux nations cette imposture trouva un écho en France et même un peu partout dans le monde. Il fallut attendre 1949 et la thèse de doctorat du canadien Richard Walter Jeanes pour que la supercherie soit mise pleinement à jour. Jeanes montra grâce à une enquête minutieuse que les estampes dont s’était prétendument inspirées Baudry n’existaient point et que le vélocifère et le célérifère n’étaient en fait que des voitures à chevaux dont les brevets avaient été officiellement enregistrés en 1803 et 1817. Il y eut bien un Jean Henri De Sievrac mais celui-ci se contenta de déposer en 1817 un brevet d’importation pour ses voitures à chevaux à destination de l’Angleterre. Malgré la précision et la qualité de cette enquète bon nombre d’auteurs continuèrent à prendre pour argent comptant les écrits de Baudry et il fallut les ouvrages de Keizo Kobayashi (auteur de l’ Histoire du vélocipède de Drais à Michaux » - Paris, 1993), Jacques Seray (auteur de « deux roues : la véritable histoire du vélo - édition du Rouergue 1988)  pour qu’enfin le comte de Sivrac ne soit plus qu’un conte. Si vous vous amusez aujourd’hui à chercher sur Internet des informations sur l’histoire du vélo vous vous apercevrez que la toile a permis la renaissance de ses mythes et que de nombreux sites (en français, en anglais, en italien…) peu ou mal documenté vous parlent du comte de Sivrac ou de la bicyclette de Leonardo Da Vinci. Sur Internet la réalité côtoie bien trop souvent les erreurs et les contre vérités les plus grossières.Reprenons le cours de l’histoire, Von Drais avait eu l’immense mérite de montrer qu’un engin peut trouver un équilibre stable avec seulement deux points de contact au sol, à condition de se déplacer, de rouler. La conduite de l'engin devint plus sûre à la suite du perfectionnement de la direction et l'adjonction d'un frein. Mais les progrès les plus remarquables furent obtenus par un forgeron écossais, Kirkpatrick Macmillan qui en 1839 dota son engin d'un système de transmision du mouvement à la roue arrière au moyen de bielles. Ne mettant plus pied à terre pour se propulser la vitesse de croisière augmenta sensiblement. Macmillan atteignait couramment des vitesses supérieures à 20 km/h (14 miles/h). L'innovation de Macmillan semble assez géniale, cependant à l’époque elle ne fut certainement connue qu'à Glasgow et ses environs.

En 1843, en France à Saint Denis, Alexandre Lefebvre, aboutit à une invention proche, selon la découverte faite par l’américain Andrew Ritchie dans les caves du musée de San José en Californie au milieu des années 70. Lefebvre sera lui aussi un inventeur trop en avance sur son temps et il faudra attendre mars 1861 pour que les pédales soient réinventées par Pierre Michaux et son fils Ernest. Là encore Baudry de Saunier a encore commis une énorme approximation puisqu’il fait remonter cette invention à 1855…

 Les Michaux étaient serruriers. Un jour, après avoir réparé la direction d'une draisienne, Ernest eut l'envie de l'essayer. Il remarqua qu'en descente il était embarrassé par ses jambes. Il pensa d'abord à installer des repose-pieds. Son père alla plus loin et il installa un pédalier à manivelles sur l'axe de la roue avant. La manivelle était un mécanisme connu surtout pour le puisage de l'eau. Cette trouvaille allait connaître une réussite au-delà de toute espérance. Les Michaux fabriquent 2 vélocipèdes à pédales en 1861, 142 l’année suivante et 400 en 1865. En 1869 la Compagnie Parisienne des Vélocipèdes (ex maison Michaux) des frères Olivier se dit capable de produire 200 vélocipèdes par jour. L’ère du grand bi commence alors. En effet très vite les constructeurs se rendirent compte que, dès qu'on atteignait une certaine vitesse, la cadence de pédalage devenait très rapide. Pour pallier cet inconvénient ils augmentèrent le diamètre de la roue avant qui mesurait environ 1 mètre de diamètre et beaucoup plus par la suite (1 mètre 40 et même 1 mètre 70 et +).

Michaux

 

Nous sommes encore loin de la bicyclette telle que nous la connaissons aujourd’hui. Pourtant au même moment, 20 ans avant tous le monde un modèle fabuleux allait être présenté à l’exposition internationale de 1869. Cette exposition soutenue par les frères Olivier est organisée à Paris au Pré-Catelan du 1er au 5 Novembre 1869. Si l’on en croit Jean Dury « l’enCYCLEopédie » elle foisonne de trouvailles hélas trop en avance sur leur temps : roue libre, vitesses multiples qui ne seront reprises et vulgarisées que beaucoup plus tard. Mais l’invention la plus surprenante est sans hésitation une machine entièrement métallique avec transmission par chaîne, conçue par l’horloger Guilmet et réalisée par le constructeur Meyer. Cette machine recevra d’ailleurs un des premiers prix de l’exposition pourtant elle demeura sans suite ni descendance directe pendant près de 20 ans.

Au début des années 1860, André Guilmet avait déjà tenté de mettre au point un vélocipède métallique à traction arrière avec transmission par chaîne de Vaucanson. La chaîne avait été conçue par Léonard de Vinci (encore lui) en 1482 et utilisée dans les automates par Vaucanson dès 1740 puis reprise ensuite dans l’industrie textile. En 1869, le fabriquant Eugène Meyer (initiateur de l'utilisation de fer creux pour le cadre) et Guilmet proposent aux visiteurs de l’exposition internationale un engin révolutionnaire tant par sa forme que par ses nombreuses innovations. Jugez plutôt : une transmission par chaîne à maillons, un pédalier muni d'un pignon de 29 dents alors que le pignon arrière n'en possède que 20 (à chaque tour de pédalier la roue arrière effectue un tour et demi).
Eugène Meyer avait imaginé en cette même année 1869 pour alléger le vélocipède de Michaux qui était réalisé avec des tiges en fonte, d’utiliser des tubes de gaz d’éclairage qui eux étaient creux. Il semblerait que se soit également lui qui eut le premier l’idée de remplacer le bois par du métal pour les jantes et les rayons.

Contrairement au grand bi peu maniable, instable et dangereux cette bicyclette est remarquable, équilibrée, stable et utilisable par le plus grand nombre.

Malheureusement André Guilmet fut tué pendant la guerre de 1870 et il ne commercialisa jamais son prototype.

Le temps passa, la roue avant des grands bis atteignit des proportions démesurées et 10 ans s’écoulèrent avant qu’un autre inventeur H.J Lawson en 1879 tente l’aventure et propose lui aussi une bicyclette équipée d'un système de transmission de la force du pédalage par "chaîne", du pédalier vers la roue arrière. Malheureusement, pour lui la popularité du Grand Bi était à son zénith et elle aussi n'a jamais connu le succès commercial. En comparant ces deux engins que dix années séparent on voit combien Meyer et Guilmet étaient en avance sur leur temps. Leur modèle plus simple, plus rudimentaire possède dans sa forme une modernité que l’engin de Lawson n’a pas.

Ce n'est finalement qu’en 1884, que John Kemp Starley, neveu de James (James STARLEY a créé en 1870  l'ARIEL, un Grand-Bi tout métal avec roues à rayons en tension et caoutchouc autour des jantes), mis sur le marché le "Rover Safety Bicycle", ou la bicyclette de "sureté". On la désigna de ce nom, car elle était beaucoup plus sure d’utilisation que le Grand Bi. Avec la "Rover" de John Kemp Starley, La bicyclette moderne est née.


Rover Safety Bicycle 1885

Depuis cette date la bicyclette a dans sa forme générale fort peu évoluée, l’ère des pionniers est terminée ouvrant la voie à une industrie en plein essor. Les grandes avancées techniques ont déblayées le terrain, elles n’ont désormais plus leur place dans cette histoire, les impostures non plus. Chapeau à tous ses inventeurs qui ont, armés de leur passion et de leurs capacités créatrices contribué à faire évoluer cette magnifique invention. Chapeau Monsieur Mac Millan, Chapeau Messieurs Meyer, Guilmet, Michaux et tous les autres. Chapeau enfin baron Von Drais, vous qui avez ouvert la voie pour notre plus grand plaisir.

Les grands inventeurs

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